Hambourg, années 70. Grisaille, fumées de cigarettes, saucisses et Shnaps. C'est dans ce doux contexte spatio-temporel qui prend à la gorge qu'évolue Fritz Honka, individu fracassé au physique assez peu évident, qui passe son temps à écumer le Golden Glove, bar miteux de son quartier et terrain de chasse où il attire des femmes pas plus aidées par la vie que lui, pour les violer avant de les assassiner sauvagement dans son appartement.
Fritz Honka, tueur en série assez épouvantable, est au cœur du dernier film de Fatih Akin, réalisateur de Head-On, Soul Kitchen et In the Fade. Le cinéaste, également auteur du scénario, s'inspire d'une histoire vraie pour les besoins de ce Golden Glove, du nom du bouge dans lequel Honka et tout ce que la fine fleur des gueules cassées de la RFA des 70's aimaient se réunir pour se démonter la tête sans aucune limite... Dans la roue du Maniac de William Lustig, Henry, Portrait of a Serial Killer de John MacNaughton ou Schizophrenia de Gerald Kargl, Golden Glove est un film qui utilise le prétexte du tueur en série pour assurer la description d'un quartier cradingue et déglingué, par le prisme de l'esprit malade de son personnage central de tueur. Adeptes du bodycount léger et scrupuleusement respecté, passez votre chemin. Golden Glove n'est pas juste le récit des exactions d'un serial killer, c'est avant tout une tentative de reconstituer et de témoigner d'une époque, dans l'optique de faire ressentir la désespérance de toute une frange de personnages tous plus marginaux et fracassés les uns que les autres. La petite troupe qui se réunit au comptoir du bar, chacun affublé d'un surnom à la fois affectueux et vachard, affiche les contours d'un microcosme victime de son passé, celui d'un pays, l'Allemagne, intérieurement détruit par la Seconde Guerre mondiale, et qui conserve les stigmates physiques et mentaux de son histoire, accouchant au passage de ses plus beaux monstres. Fatih Akin fait ici un cinéma d'hommes et de femmes, composé de trognes et de chairs flasques, qui s'affrontent, se confrontent, à grand renfort de tournées alcoolisées. Cette fraternité qui s'épanche autant dans l'alcool que dans la violence, la domination (l'ancien SS qui urine dans le dos de l'adolescent) jamais très loin d'une forme de pitié et de désespoir. Pour autant, le réalisateur ne renie pas son cahier des charges, et s'attarde longuement sur les abominations de son antihéros, mais il parvient néanmoins à y extraire des traces d'humanité. Les exactions de Fritz Honka, alternant hors-champ (mais la bande-son fait son office) et représentations graphiques, sont décrites dans toute leur crudité. Qu'elles soient sexuelles, lorsqu'il viole maladroitement ses victimes, à l'aide de son appareil génital visiblement peu enclin à assouvir ses désirs, ou lorsqu'il se sert de substituts comme les pas plus vigoureuses saucisses sorties de son frigo. Ou lorsqu'il s'adonne aux meurtres par étranglement ou au découpage des corps, avec ce qu'il faut de décalage et d'approximations dans le geste.
Car Golden Glove, sous ses oripeaux de cauchemar horrifique et malsain, laisse planer continuellement un humour très noir qui lui confère un statut proche de la comédie macabre. C'est terrible à dire, mais on en arrive à s'amuser de cette profusion de corps disgracieux et imbibés, de ces situations pas loin de l'absurde, lorsque le tueur dissimule les membres découpés de ses victimes dans une cache de son appartement, et qu'il tente de camoufler l'odeur insupportable par des aérosols ou l'excuse de la cuisine des voisins grecs... Un décalage qui prête au sourire et humanise le monstre, sans pour autant l'absoudre de ses meurtres, qui sont l'oeuvre d'un individu sans cadre, paumé et détruit par ses addictions au sexe et à l'alcool. Des dépendances viscérales qu'Honka tentera de maîtriser, à l'occasion d'un épisode où le personnage essaye de se reconstruire un semblant d'existence, de s'acheter une rédemption, avant d'être rattrapé par ses démons. A ce titre, la performance habitée de Jonas Dassler, sous un imposant maquillage, est assez saisissante, le jeune comédien se livre sans compter et apporte une épaisseur et un côté pathétique à son personnage. Les lieux du récit constituent également autant de représentations de la psyché du tueur, le Golden Glove tout d'abord, sorte de purgatoire dans lequel les habitués revivent perpétuellement leurs exactions et le poids de l'Histoire, et dont l'atmosphère enfumée et grasse prend à la gorge. C'est aussi le cas de l'appartement étriqué d'Honka, reproduit d'après la véritable tanière du tueur avec un souci du détail maniaque, qui cristallise toute la crasse et l'aliénation du personnage et de son entourage. Restent ces deux adolescents qui se tournent autour en début et fin de film. Une jeune fille pure et en rupture de ton avec l'ensemble du bestiaire humain du film, qui apporte une dose d'espoir, quand son pendant masculin semble progressivement annoncer un Honka en devenir... Le film n'a pas son pareil pour traiter l'humain sous l'horreur et la crasse. Aussi nauséabond, cru et poisseux qu'il soit, Golden Glove ne dégoute pourtant jamais réellement, mais fascine et passionne tout le temps.
Formellement aussi abouti par sa mise en scène d'une incroyable pureté que son propos est sombre et atroce, Golden Glove trotte dans la tête, tout autant que la chanson d'Adamo, Es geht eine Träne auf Reisen, qui hante Fritz Honka, et ce, bien longtemps après sa vision. Une présence entêtante qui en dit long sur sa pertinence et son statut de grand film.







