Depuis La Nuit des Morts-vivants, qui le fit connaître et lui assura une notoriété jamais démentie, le nom de Romero rime avec Zombie. Une étiquette qui lui colla à la peau toute sa vie, jusqu'à sa mort en juillet 2017, précédée d'une seconde trilogie de mangeurs de chair, comme si toute sa carrière, et surtout le succès, ne devaient uniformément dépendre que d'un seul genre. Une sacrée injustice pour un réalisateur pourtant pluridisciplinaire, sacrément imaginatif et dont la filmographie contient de véritables merveilles méconnues que le support bluray, depuis quelques temps, sort enfin de l'ombre. Après le très original Knightriders, Blaq Out s'allie à ESC pour sortir trois pépites dans un très beau coffret qu'il serait de bon ton de trouver sous le sapin.
Après le succès phénoménal de La Nuit des Morts-vivants, qui étonne tout le monde à commencer par la bande de potes de Pittsburgh à l'origine du projet, leur leader, George A. Romero, tente le virage à 360°. Le public et la critique ont adoré sa vision de fin du monde en forme d'invasion de zombies ? Ils devront donc faire avec son nouveau projet : une idylle en forme de roman photos hippie entre un guitariste libertaire et une actrice essayant de percer en tournant dans des publicités commerciales. Autant dire que personne ne s'attendait à ça. Pourtant, en filigranes, derrière cette drôle d'histoire d'amour on trouve encore cette propension à porter un regard éclairé et éclairant sur la société américaine des 70's. L'invasion zombies, déjà, n'était qu'un moyen détourné, avec son afro-américain en personnage principal, de dénoncer le racisme. Il en sera de même avec There's Always Vanilla, drôle de titre qui ne s'expliquera que dans ses toutes dernières minutes où, derrière ses personnages (incarnés de bien belle manière par l'injustement oublié Raymond Laine et Judith Streiner, nièce du producteur - une bande de potes, on vous dit!) Romero parle de lui-même, de la difficulté de conserver sa fraîcheur artistique (lui qui tournait aussi des publicités pour subsister) et de cette lente progression vers une forme de renoncement. Avec sa forme évoquant la Nouvelle Vague de Godard et Truffaut, ses ambitions auteurisantes où le réalisateur use et abuse d'artifices pour casser la trame de son histoire à tout bout de champ (quatrième mur brisé, apparition d'un clap marqué de son nom qui apparaît à la façon d'une image subliminale...) et la richesse de son sous-texte, pas étonnant que There's Always Vanilla fut un échec cuisant. Est ce que Romero cèdera pour autant aux sirènes des Mort-vivants pour son prochain film ? Négatif ! C'est même tout le contraire.
Pour son troisième film, George A. Romero ne calme pas le jeu, loin de là, et revient avec un film qui, comme les deux premiers, a encore des choses à dire. Cette fois ci, dans Season of the Witch (qui longtemps s'appela Jack's Wife) il est question d'une femme au foyer enfermée dans sa petite vie bourgeoise sans espoirs ni avenir. Une femme qui vit à l'ombre d'un mari qui passe le plus clair de son temps au boulot (le Jack du premier titre donc) et d'une fille adolescente qui elle n'attend pas de vivre sa vie et s'envoie en l'air avec un jeune prof de fac (Raymond Laine, encore). Au bord de la dépression, hantée par des cauchemars qui commencent à prendre le pas sur la réalité, elle va trouver une porte de sortie vers un bien étrange hobby : la sorcellerie.
Ne cédant toujours pas à un retour au genre horrifique, et malgré le four de son précédent film, George Romero a en plus le culot d'utiliser une figure emblématique du cinéma d'horreur (la sorcière donc) pour raconter un peu plus cette société américaine, patriarcale, dans laquelle il vit. Il est intéressant de voir à quel point cette fois chacun de ses personnages masculins est à ce point défini par ses actions castratrices envers les femmes. Le prof de fac use de son savoir et donc de sa supériorité intellectuelle pour attirer les femmes dans son lit, il devient littéralement un envahisseur terrifiant dans les fantasmes de l'héroïne et, durant le générique d'intro (la plus belle scène du film!), à l'onirisme étrange, Jack devient littéralement un obstacle qui blesse sa femme dans sa chair. Malgré son manque de rythme et son histoire qui donne l'impression de tourner un peu en rond, Season of the Witch contient donc son lot d'éléments à l'intérêt certain, à commencer par le talent de son actrice principale (Jan White, qui tournera finalement peu) et la chanson de Donovan, qui finira par donner son titre au film. Imparfait donc, mais une authentique curiosité.
Après deux bides commerciaux, on peut comprendre que Romero voulut renouer un peu avec le succès et surtout avec ses fans. C'est sans doute pour cette raison que son quatrième film fait bigrement penser à La Nuit des Morts-vivants. Côté scénario, déjà, qui voit la petite ville d'Evans devenir la proie d'un virus rendant ses habitants complètement fous. Sur la forme, ensuite, où la façon qu'a le petit groupe de locaux de fuir l'armée de militaires qui boucle les lieux ressemble étrangement au jeu du chat et de la souris qui se jouait entre vivants et zombies. Sur l'écriture, enfin, qui trahit assez rapidement le peu d'espoir et de chance de survie qui s'offrent à ses héros. Une belle et intelligente façon de renouveler le choc de son premier film, même si, au final, The Crazies (qu'on préfèrera au titre français de La Nuit des Fous Vivants - n'importe quoi!) n'arrive jamais à la cheville de son prédécesseur. Mais loin d'être raté, celui ci offre au contraire une action rythmée, des acteurs certes moins marquants mais qui font le taf et une atmosphère plutôt réussie. Le plus intéressant se trouvant encore une fois dans le sous-texte, où Romero s'en prend directement aux dirigeants du monde, incapables de réparer une situation qu'ils ont eux mêmes engendrée et dans une critique assez ouverte de l'armée, incapable de répondre autrement que par la violence et les armes. Le summum étant atteint lorsque le scientifique à l'origine du virus arrive enfin à trouver un début d'antidote et se retrouve lui-même victime de ceux qui sont sensés le protéger. Romero questionne clairement le spectateur : qui sont les fous du titre ? Les victimes innocentes du virus ou ceux qui l'ont créé ?
En trois films certes imparfaits (et pas les plus marquants dans sa filmographie) George A. Romero arrive quand même à nous persuader d'un fait indéniable : chacune de ses œuvres proposait, derrière son sujet, quel qu'il fut, l'opinion d'un cinéaste concerné et sensible aux problèmes de son époque. Et qu'il traite de racisme, de féminisme, de dérives scientifiques ou de soif d'une liberté utopique en mettant des chevaliers des temps modernes sur des motos, la pertinence de son cinéma, dans une époque aussi trouble que la notre, nous manque terriblement.







