Quand le roi de la comédie à l'italienne délaisse le rire pour le tragique cela donne un polar trouble qui confronte la police a ses excès et la justice à ses manquements. Un sujet toujours brûlant, que Société anonyme anti-crime aborde avec une frontalité lucide.
Versant rital forcément un peu plus roublard des polars politiques qui marquèrent ce fier cinéma populaire français dans les années 70/80 (et dont une large réhabilitation serait nécessaire), le Poliziottesco fut souvent réduit à sa successions de thrillers malsains, violents, voyeuristes et toujours parcourus par une certaine fascination pour la criminalité. Trouble, ambiguë, comme la plus belle part du cinéma de genre italien, le Poliziottesco n'est finalement jamais aussi légitime que lorsqu'il se confronte directement avec sa principale influence : la société italienne de ce que l'on a appelé les « années de plomb ». Un période houleuse, brutale ou la population était prise en étau entre les exactions de l'extrême droite et les attentats commis par l'extrême gauche, tandis que les forces de l'ordre multipliait les bavures et la caste politique les malversations. Parmi les plus marquants du genre il serait peut-être temps d'y ajouter fermement ce Société Anonyme Anti-crime, effectivement pas signé par un Castellari, un Fernando Di Leo ou un Sergio Sollima mais par un certain Stefano Vanzini, plus connu sous le pseudonyme de Steno. Une véritable star de la comédie populaire italienne avec plus d'une centaine de réalisation au conteur croisant aussi les gags du fameux Toto que les frasques du massif Bud Spencer. Pas un grand penseur ni un inventeur de génie, mais un artisan productif, efficace et honnête qui n'aura finalement signé qu'un seul et unique film sérieux ce La polizia ringrazia en question.
Assez fascinant donc, voir doublement car l'objet a sans aucun doute beaucoup plus de force que la plupart des polars de l'époque. Nimbé dans une atmosphère sombre, lourde et froidement désespérée, elle suit la confrontation entre un détective et une organisation décédée à faire justice elle-même. Un an avant le Magnum Force de Don Siegel, le film pose la question de la réplique à une justice défaillante, à une montée de la violence et de la criminalité et le fait intelligemment par le biais d'un détective qui n'a rien du saint en mission. Moins expéditif que Dirty Harry, le commissaire Bertone (excellente Enrico Maria Salerno) partage le même sentiment d'impuissance et de lassitude, montrant même une hésitation, très temporaire, à rejoindre ces vigilantes très organisés. Sauf que celui-ci montre aussi, peut-être grâce à sa compagne journaliste pour un papier de gauche, une vraie connaissance et compréhension du terrain, habilement démontrée lors d'une conférence de presse en bus dans la nuit romaine. Il garde une certaine faiblesse pour les parias, les petits truands, les prostituées, les travestis, les activistes gauchistes... Tout ceux en définitive que la « société anonyme anti-crime » va rapidement transformer en cible symbolique pour une ville « plus propre ». La loi face au fascisme, aux milices, multipliant les exécutions spectaculaires au service non pas de la population, mais d'une institution déjà largement vérolée et favorisant dans l'ombre un renversement des valeurs. Moins spectaculaire et musclé que beaucoup, La polizia ringrazia préserve malgré une vraie tension et une efficacité indéniable, une certaine sécheresse empêchant justement tout complaisance et donc un jugement trop tranché jusqu'à son final, lourd d'un pessimisme ce circonstance.



