Souvent oublié lorsque l'on évoque la carrière du papa de Mad Max, Lorenzo est pourtant l'une des pièces maîtresses de l'œuvre de l'australien George Miller. Sa sortie inespérée dans un combo blu-ray/DVD nous donne l'occasion de remettre les pendules à l'heure.
Cinq années séparent Les Sorcières d'Eastwick de Lorenzo. Une longue pause durant laquelle George Miller doute sérieusement de pouvoir remettre le couvert et de réaliser d'autres films. Une crise de foi artistique provoquée par de nombreux coups du sort. Son premier galop d'essai pour Hollywood avec le segment « Nightmare at 20000 feet » de l'anthologie Twilight Zone : The Movie est certes salué par la critique mais l'émotion autour de l'accident mortel intervenu sur le tournage du segment de John Landis détourne totalement l'attention. Puis, c'est un autre accident d'hélicoptère qui le plonge dans le désarroi avec la perte de Byron Kennedy, son ami et producteur, en plein milieu des repérages pour Mad Max : Au-delà du Dôme du Tonnerre. Très affecté, Miller demande l'aide de George Ogilvie pour co-réaliser cette séquelle attendue. Enfin, le tournage des Sorcières d'Eastwick, son premier véritable blockbuster hollywoodien, se transforme en véritable chemin de croix lorsque Miller doit subir les caprices combinés et incessants de la superstar Cher et de son producteur, l'inénarrable Jon Peters (voir, à ce titre l'hilarant An Evening with Kevin Smith, une conférence au cours de laquelle le cinéaste geek se souvient de son expérience sur le Superman mort-né de Tim Burton). Bref, Miller sort totalement lessivé de quatre années de travail lui ayant apporté plus de chagrin, de souffrance et de frustration que de satisfactions. Alors, il produit, se la coule douce et joue les secondes équipes de luxe, notamment sur le Calme blanc de Phillip Noyce. Presque une pré-retraite mais qui prend fin soudainement lorsqu'il tombe sur l'histoire des époux Odone et de leur fils, Lorenzo.
Le passé de médecin de Miller n'est bien évidemment pas étranger à l'intérêt porté au combat des Odone contre l'adrénoleucodystrophie qui paralyse leur enfant et le trimballe vers une mort aussi certaine que prématurée. Les connaissances du cinéaste lui donnent une certaine légitimité et sa sensibilité et son humanisme l'amènent forcément à compatir au calvaire de cette famille. Pour autant, le film ne se range pas dans un camp ou dans un autre même s'il souligne que le temps des scientifiques, fondé sur la patience et les faits durablement établis, ne peut qu'entrer en collision avec une maladie qui n'offre aucune trêve.
Loin du drame médical attendu et larmoyant et à l'opposé du téléfilm italien Voglia di vivere, basé sur la même histoire, George Miller oriente son long-métrage vers le cinéma de genre et dynamise par l'image un scénario forcément rempli de termes scientifiques complexes et de longues discussions autour d'une table. Comme Sidney Lumet le fit avec ses films de procès, Miller transcende par la seule force de sa mise en scène un récit on ne peut plus terre à terre en une bataille féroce et à la résonnance quasi-mythologique. Pour les scènes où le jeune Lorenzo entre en crise, le réalisateur de Mad Max : Fury Road s'inspire directement de L'Exorciste de William Friedkin pour un résultat viscéral et traumatisant. Une scène de rêve flirte carrément avec l'épouvante gothique et le mysticisme le plus lumineux irrigue tout le film entre une citation d'un chant guerrier swahili en ouverture ou des scènes d'église aux allures de requiem de la Renaissance. Quand bien même Miller est souvent réduit à ses péplums motorisés où l'humanité tente de subsister entre folie endémique et tôles froissées, Lorenzo porte son empreinte de bout en bout et démontre une virtuosité presque instinctive. Comment, en fin de compte, ne pas retrouver un peu de Max Rockatansky et de l'Imperator Furiosa dans le couple interprété avec ferveur par Nick Nolte et Susan Sarandon ? Des pans entiers de Babe 2 (l'autre chef d'œuvre oublié de George Miller) et du diptyque Happy Feet attendent déjà, en germe, dans ce Lorenzo auquel le public n'accorda que très peu d'attention lors de sa sortie, en 1992. Un échec qui contraint George Miller à une nouvelle pause de près de six ans. Aujourd'hui, les studios, le public et la critique déroulent le tapis rouge à cet australien de 75 ans. Il était temps.



