Troisième opus de la saga des morts-vivants de George A. Romero, créateur du genre, Le Jour des morts-vivants est longtemps resté un objet mal aimé et incompris. Aujourd'hui largement réévalué à l'aune de ses nombreuses copies et autre séries tv zombiesques, celui que le cinéaste considérait comme sa plus belle réussite reste d'une actualité mordante.
Comme les amateurs le savent par cœur, le film de zombie n'a jamais vraiment été l'obsession de George A. Romero, mais surtout une réponse à une demande constante du public et des financiers n'acceptant ses projets que s'ils se titraient « of the Dead ». D'où cette utilisation unique de la figure du mort qui marche, non pas utilisée en tant que tel comme une créature fantastique et effrayante, mais comme un vecteur narratif, une extrapolation d'un discours beaucoup plus personnel. Succès planétaire Zombie, ou Dawn of the Dead, était alors venue éclairer le délitement de la culture américaine dans une société de consommation vertigineuse. Le Jour des morts-vivants lui répond directement en explorant ce monde rendu au bout de sa logique, éclairant alors directement l'Amérique triomphante de Reagan, ces fameuses années 80 célébrant les yuppies, écrasant les plus pauvres et valorisant le nationalisme économique et guerrier par une série de blockbusters bodybuildés que déploraient Romero. Un cinéaste capable de réécrire entièrement son premier scénario, vaste et épique (dont on retrouvera des éléments dans le futur Land of the Dead), afin de préserver sa totale liberté de création et son auditorium adulte, quitte à réduire de moitié son budget. Une intégrité constante qui caractérise le cinéma de Romero, et qui trouve ici un durcissement imposant, tant le métrage avance à total contre-courant des modes de son époque.
Il refuse ainsi d'adoucir ses violentes séquences gores (merci à la dream team Tom Savini, Greg Nicotero et Howard Berger) par un humour trop prononcé ; opte uniquement pour des acteurs méconnus (mais parfait) ne répondant certainement pas aux codes hollywoodiens ; privilégie le thriller psychologique et le dialogue à l'action et offre une nouvelle charge contre le monde militaire, décrit ici comme une horde d'abrutis vicieux et dangereux, optant forcément pour le contrôle armé et le fascisme. On est très loin de Rambo II, film souvent cité comme antithèse par le cinéaste. Loin de l'esthétique comicbook et fun donc, Le Jour des morts-vivants se veut d'un réalisme à toute épreuve, resserrant drastiquement ses enjeux sur un ultime groupe de survivants, isolé dans son bunker, alors qu'au-dessus la civilisation est tombée, laissée au mains des morts. Mais même là le pessimisme reste maître puisque incapables de collaborer, le groupe reproduit rapidement les fractures de l'ancien monde, les scientifiques s'arguant comme les autorités intellectuelles au dessus de tous, et les militaires comme les étalons virils refusant à demi-mot que Sarah n'ait choisie de s'offrir à un seul homme. Comme toujours chez Romero, les seules personnages qui provoquent sa sympathie sont les outsiders, les indépendants, les rebelles, les minorités. Pas étonnant que le groupe de héros se résument alors une femme et deux hommes (dont un noir à l'accent jamaïcain) qui ne rêvent plus qu'à un nouveau départ et un oubli salvateur de cette société morbide. Logique que le personnage le plus mémorable du film soit l'attachant Bub (incroyablement interprété par Sherman Howard), nouveau chaînon dans l'évolution des zombies qui, telle la créature de Frankenstein, développe une humanisation limitée mais avec toute cette sensibilité qui manque tant aux vivants. La mise en scène faussement discrète et la lumière souvent distantes et froides, ont beau jouer un calme apparent, Le Jour des morts-vivants est un film qui hurle constamment le besoin d'un revirement, d'un changement drastique, d'une échappée vers un monde meilleur, plus juste et plus humain. C'était en 1985...



