Film d'évasion relativement peu connu et bien rare sur nos écrans, Les Evadés (non pas le film avec Tim Robbins et Morgan Freeman) fut pourtant bel et bien consacré Grand Prix du cinéma français et avoisina les quatre millions d'entrées au cinéma. Un authentique succès pour un grand film d'évasion en espace réduit.
Le film d'évasion est, en tant que genre, largement attaché à une certaine culture américaine, à une certaine vision d'un cinéma historique sensationnel, viril et spectaculaire, à l'image de la légende Steve McQueen. Une leçon de courage droite et sans bavure en sommes, en particulier lorsque celle-ci prend place dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant ce Les Évadés est un film français, qui justement s'efforce tout du long d'esquiver le piège de l'héroïsme aveugle, de la célébration de figures détachées des véritables réactions humaines face à ce cadre dangereux et désespéré. Les trois personnages centraux du film, incarnés avec une forte justesse par Pierre Fresnay (La Grande illusion, L'Assassin habite au 21), François Périer (Le Samouraï, L'Attentat) et Michel André (à la carrière malheureusement moins glorieuse que les deux autres), sont certes des héros de guerre prenant le risque d'être fusillé pour leur évasion, mais ils doutent, se trompent, s'invectivent, hésitent parfois à se rendre et surtout n'imaginent pas forcément ensuite se lancer dans la résistance, mais plutôt attendre que les évènements se tassent.
Ce regard très humain, sans une once de manichéisme primaire (certains allemands ont l'air bien sympathique et pas nazi pour un sou, alors qu'on évoque ouvertement les collabos) et ce regard des plus réalistes s'explique certainement par la personnalité même de l'acteur / scénariste Michel André, qui s'inspire justement ici de ses mémoires de détenu d'un camps. Aussi par de celle du réalisateur éclectique Jean-Paul Le Chanois (Le Temps des cerises, Papa, Maman, la bonne et moi..., Les Misérables) militant communiste très attaché aux valeurs syndicales et reconnu pour avoir été un grand résistant. Un film au plus proche de ses personnages, de leur fatalisme parfois (envoyé au front avec des armes rouillées et des munitions du mauvais calibre), jamais de leur désespoir, qui opte d'ailleurs dans sa grande majorité pour la forme du huis clos, coincé dans un wagon de marchandise avec seulement quelques litres d'eau. Aidé par la photographie ciselée et rigoureuse de l'un des meilleurs chef opérateur de l'époque, Marc Fossard (La Belle équipe, Les Enfants du paradis...), Le Chanois maîtrise parfaitement son découpage, habille fermement un film finalement assez figé dans sa scénographique, réussissant à imposer un authentique suspens tout en se permettant des petits sorties légèrement humoristiques toutes en délicatesses.
Bien entendu nos trois gaillards réussiront, après moult péripéties, dangers et impasses, à retrouver la liberté célébrant ainsi un avenir radieux (une fin en couleur fut même envisagée). Mais Les Evadés n'aura cependant pas hésité en cours de route à offrir une séquence glaçante alors que le trio entend des voix de femme chanter le Temps des cerises, réclamant de l'eau, dans un wagon proche... Celui remplis de femme et d'enfants juifs, émaciés, le regards déjà vide, envoyés vers ces autres camps dont on ne revenait pas.



