Longtemps resté inédit en France, en l'occurrence jusqu'aux année 90, Opération peur est cependant pour beaucoup la quintessence de l'esthétique gothique de l'illustre Mario Bava. Une simple histoire de fantômes, mais qui aujourd'hui encore peut faire froid dans le dos.
Entamé en 1960 par le Masque du démon, le grand cycle gothique de Mario Bava, et du même coup l'effet de mode qui habita toute l'industrie italienne, touchait à sa fin six ans plus tard lorsque le cinéaste aborda Operazione paura - bien connu des anglophiles sous le titre bourrin de Kill Baby Kill ! - qui signait alors, inconsciemment sans doute, l'aboutissement de recherches visuelles, de motifs et d'une exploration poétique des troubles morbides. Pas de grande star internationale à l'affiche, un décor presque unique, des effets spéciaux réduits à quelques effets de montage, un budget tellement réduit que l'équipe acheva le film sachant qu'elle ne serait jamais payée... Et pourtant cette tension vers une épure nécessaire sert entièrement le métrage où la même simplicité du scénario (une vengeance venue de l'au-delà et c'est marre) permet à l'esthète de ce recentrer sur la construction des cadres, une éblouissante photographie mordorée et surtout une atmosphère incroyablement étouffante, macabre, transforment progressivement mais surement ce petit village isolé, enfermé dans ses anciennes croyances, en une porte vers le purgatoire. Les habitants s'y estompent tandis que les ombres s'allongent, la nuit s'étend et les certitudes des deux protagonistes, Giacomo Rossi Stuart (Je Suis une légende avec Vincent Price) et l'icone bis Erika Blanc (La Vengeance de Lady Morgan, Si douces, si perverses...) se perdent dans un récit aux accents cauchemardesques.
Un petit quelque chose du voyage psychanalytique dans cette utilisation récurrente d'un gigantesque escalier en colimaçon qui donne le vertige, une certaine fascination pour les glissements nécrophiles, une visite terrifiante dans un cimetière hors du temps et surtout une utilisation obsédante et hantée d'anciennes compositions musicales de Carlo Rustichelli (dont ces battements funèbres piqués à une obscure comédie)... Tout cela donnerait presque à Opération peur des airs de Lucio Fulci avant l'heure. Plus consciencieux et noble, moins gore certes, mais habité par cette même inéluctabilité de la mort et de la décrépitude. Rarement une riche demeure aristocrate n'aura été autant affublée de crasse et de toiles d'araignée, ni autant désincarnée par un mise en scène et un montage qui en étire et en désarticule les fondations. Une maison hantée par la colère et la folie de sa dernière habitante, qui donne littéralement corps à la désormais très célèbre apparition du film : Melissa Graps, petit fille blonde en tenue de poupée portant un ballon (presque plus flippant qu'elle) dont le sentiment d'étrangeté tient autant à son immatérialité qu'à son incarnation à l'écran par un petit garçon à l'air biaisé. Une vision qui traumatisa les spectateurs de l'époque (et pour cause) et devint depuis un leitmotiv du genre, jusqu'à bien entendu un dédoublement particulièrement célèbre dans le Shining de Stanley Kubrick. Précurseur comme toujours, Mario Bava signait avec Opération peur un fascinant exercice de style.


