Dans la foulée d'Angel Heart, film noir dérivant vers le fantastique et la sorcellerie, des ruelles froides et sales de New York vers la chaleur moite et putride de la Nouvelle Orléans, le cinéaste britannique Alan Parker poursuit son exploration du Mal dans le sud profond des États-Unis mais, cette fois-ci, au travers d'un fait divers révoltant et tout ce qu'il y a de plus réel. Attention, ça brûle !
Juin 1964, comté de Neshoba, en plein cœur du Mississipi. James Chaney, Andrew Goodman et Michael Shwerner, trois militants des Droits Civiques venus inciter les populations noires, victimes du racisme et de la ségrégation, à s'inscrire pour exercer le droit de vote, sont assassinés par des membres du Ku Klux Klan. Fruit de la complicité active des autorités locales, le triple meurtre ébranle la région et la recherche des corps mobilisera toute une antenne du F.B.I. ainsi que 400 membres de l'U.S. Navy envoyés en renforts pour draguer les cours d'eau. Dix hommes seront finalement condamnés de complots et d'assassinats, bien que les enquêteurs estiment que bien des coupables de cet acte haineux soient passés entre les mailles du filet. Tandis que les suprémacistes blancs du Ku Klux Klan entrent ouvertement en guerre avec la police fédérale de J. Edgar Hoover, la nation ne peut plus ignorer le sort réservé aux gens de couleur, la ségrégation et l'intimidation ayant remplacé l'esclavage d'avant la Guerre de Sécession.
De cet événement complexe, le scénariste Chris Gerolmo tire un scénario qu'il vend à Orion Pictures. Milos Forman et John Schlessinger (deux excellents choix a posteriori) sont approchés mais le job atterit finalement entre les mains d'Alan Parker. Contre l'avis de Gerolmo, Parker réécrit le scénario, mettant à profit ses propres recherches. Si les noms, certains lieux et certains faits sont altérés, pour des raisons de légalité, de droit à l'image ou tout simplement à des fins artistiques, le résultat est d'une authenticité parfois troublante. Que Parker, d'abord hésitant, ait finalement décidé de planter ses caméras dans le Mississipi, à quelques encablures des lieux du meurtre, n'y est sans doute pas pour rien.
Polar fiévreux où la sueur et le sang ont un goût de cendre et où la colère des opprimés monte d'un cran à chaque nouvelle croix brûlée, à chaque église incendiée, à chaque jeune home lynché, Mississippi Burning est moins un film sur le mouvement des Droits Civiques qu'une autopsie de la haine et du racisme. Donnant à cette horreur quotidienne dont l'Amérique n'est toujours pas débarrassée un visage ouvertement malfaisant, Alan Parker use des mêmes techniques qu'il employait déjà dans Midnight Express, fortement critiqué pour sa vision sans concession et sans humanisme des autorités turques. De la voix râpeuse et du physique de batte de base-ball cloutée de Michael Rooker au regard de serpent de Brad Dourif, en passant par la bonhomie porcine de Gaillard Sartain et le regard fuyant de Pruitt Taylor Vince et sans oublier l'autorité menaçante de R. Lee Ermey et un contre-emploi payant pour Stephen Tobolowski (éternel second rôle des 80's et du début des 90's), Mississippi Burning n'offre aucune circonstance atténuante aux membres du Ku Klux Klan, excroissances monstrueuses du Sud profond. Parker ne fait pas forcément dans la dentelle mais il oppose au Mal une humanité divisée. Animé de bonnes intentions mais dépassé par la situation et une culture que son éducation lui empêche de cerner convenablement, Willem Dafoe symbolise l'impuissance de l'establishment fédéral. Remarquable en épouse effacée mais révoltée, Frances McDormand affiche un regard d'une tristesse profonde, se demandant si le fait d'avoir épousé un homme mauvais ne l'a pas rendue complice de cette misère. Et il en va de même pour un Gene Hackman impérial, enquêteur natif du Mississipi, accoutumé à la haine depuis l'enfance mais peu regardant lorsqu'il s'agit de rendre justice, désabusé et impitoyable.
Personne ne filme les visages comme Alan Parker et, s'appuyant sur le score rythmique et percussif de Trevor Jones, le réalisateur impose un rythme implacable, faisant grimper la température à chaque minute. Les coupables étant connus dès les premières minutes, l'enquête est pour ainsi dire secondaire. La révolte, elle, est primordiale. Lors d'une paire de scènes recréant des entretiens menés par des journalistes auprès de la population du cru, Alan Parker pointe sa caméra sur cette Amérique qui n'en finit plus d'inquiéter, celle-là même qui a porté Trump au pouvoir en 2016. Une Amérique pauvre et sans éducation, friande des pires stéréotypes raciaux et de formules toutes faites. Cocktail molotov, grenade dégoupillée, Mississippi Burning n'a rien perdu de sa force et se regarde aujourd'hui encore les larmes aux yeux et l'injustice gravée dans la chair.





