Doctor Sleep c'est un peu l'histoire de mariages impossibles. De la réunification d'un monolithe du cinéma horrifique, le Shining de Stanley Kubrick, et de la fibre plus récente de l'écriture de son géniteur Stephen King. Entre les deux, Mike Flanagan (The Haunting of Hill House) prend les mauvais coups.
Adaptation sur grand écran d'un roman mineur du King. Suite ou pas suite du film culte ? Nicholson ou pas Nicholson ? Le doute aura certainement eu raison du film Doctor Sleep dont la communication aura laissé les spectateurs de marbre, boudant un essai relativement pourtant soutenu par la presse française. Pas incompréhensible tant le premier montage visible de 2h30 paraissait clairement fragmentaire et déséquilibré. Profitant de la sortie du film à la maison, Flanagan ressort alors des cartons le montage complet du projet, vaste feuilleton de trois heures très loin des ajouts anecdotiques. Désormais découpé en chapitres comme Shining était découpé en jours, prenant le temps d'explorer plus avant autant ses personnages, sa mythologie que les liens tendus avec le premier roman de King et sa trahison Kubrickienne, Doctor Sleep prend forme. Un projet dont, il faut l'avouer, la quête impossible s'avère bien plus passionnante que le résultat en lui-même. La faute première à un roman qui délaissait volontairement l'horreur sourde et claustrophobe pour embrasser une quêtes plus mystique, une réflexion plus globale sur le fameux « shining », où comme pour nombre des livres récents du maitre l'humanité des personnages, leurs combats intérieurs (ici la rédemption de Danny), leurs rapprochements salvateurs, prévallent largement sur la terreur d'autrefois. Doctor Sleep ne fera donc jamais peur. Pas vraiment. Et rejoint directement dans sa construction, sa langueur et sa multiplicité de personnages (et les sbires de Rose en patisse sévèrement), la structure d'une minisérie télévisée plutôt que celle ramassée et contenue d'un long métrage de cinéma.
Première bataille perdu d'avance donc, à l'instar de celle, obsessionnelle de constamment citer le cinéma de Kubrick. Quelques plans directement repris du film et retouchés en postproduction (essentiellement des extérieurs atmosphériques), quelques notes de musiques, un décor final reconstruit avec minutie et de nombreuses séquences, désormais en flashbacks, calquées au millimètre près comme dans le Psycho de Gus Van Sant. Mais Henry Thomas (malgré ses efforts démesurés) n'est pas Jack Nicholson, Alex Essoe est bien trop lisse pour remplacer Shelley Duval et le sympathique Roger Dale Floyd affiche une bouille largement moins flippante que celle du jeune Danny Lloyd. Rencontre impossible. Confrontation perdue d'avance à nouveau, surtout qu'à aucun moment Flanagan ne montre la moindre intention de se réapproprier le terrain de jeu offert, de le détourner de son cadre mathématique... Rendant les quelques minutes inoubliables du Ready Player One de Steven Spielberg plus précieuses encore. Film étrange à l'arrivé, bicéphale, parcouru de personnalités diverses (une fois encore le duel Kubrick / King) et de deux modèles de mise en scène presque antinomiques, la perfection démonstrative de l'un contre la modestie discrète de l'autre, Doctor Sleep trébuche constamment, mais heureusement ne chute jamais vraiment. Grace à la démarche profondément honnête de Flanagan, mais aussi et surtout grâce à cette douce alchimie, simple et lumineuse, qui nait entre le Danny adulte d'Ewan McGregor, passeur d'émotion et de justesse, et la toute jeune Abra Stone (Kyliegh Curran et sa frimousse espiègle) véritable Charlie nouvelle génération. Au milieu de tous ces enjeux, dramatiques et esthétiques, leurs regards échangés résonnent comme des petites bulles de magie.




