Le terme de critique est prétentieux lorsqu'il s'agit d'un film avec un tel pedigree. De la réalisation de Marcel Carné aux dialogues de Jacques Prévert, ce Drôle de drame a dépassé le statut de film pour rentrer dans celui du patrimoine du cinéma français jusqu'à trouver sa place dans celui des incontournables du cinéma mondial.C'est bien pour cette raison que la ressortie de ce chef d'œuvre s'est trouvé un nouvel écrin digne de son statut chez un nouveau venu dans l'édition, l'éditeur reZolution.
Parler de Carné, c'est évoquer des noms aussi respectueux qu'intouchables comme les cinéastes que sont Jean Renoir ou Marcel Pagnol. De la même génération que ses illustres congénères, Marcel Carné, du haut de sa vingtaine de films, a plus que marqué l'histoire du cinéma avec presque autant de chefs-d'œuvre. Outre son Drôle de Drame qu'il réalisa en 1937 à l'aube de la trentaine, il enchaînera avec des titres aussi incunables que Quai des Brumes, Hôtel du Nord, Le jour se lève, Les visiteurs du soir et Les enfants du paradis. Excusez du peu. Ceci est d'autant plus impressionnant que tous ses films seront réalisés sur une période de moins de dix années ! La suite de sa carrière produira des œuvres, certes de moindre importance, mais toujours de qualité supérieure. Le secret de cette période bénie tient surtout d'une collaboration plus que fructueuse avec un auteur de renom, le scénariste Jacques Prévert.
Leur première collaboration se fera donc avec ce Drôle de Drame. Aussi complémentaire qu'humainement dissemblable, leur amitié éclatera au grand jour dans leurs huit films qu'ils feront en commun. Autant Prévert était extravagant, autant Carné était introverti. Leurs dissemblances trouveront leur point commun dans leur amour mutuel pour l'espèce humaine. Sous prétexte d'une intrigue faussement policière, ils en extirpent une histoire vaudevillesque aux situations jubilatoires servies par des acteurs au diapason et en osmose avec leur personnage. Les joutes verbales entre Michel Simon et Louis Jouvet sont écrites aux petits oignons. Difficile d'imaginer l'animosité des deux acteurs hors plateau. Bon directeur d'acteurs, Carné sait se servir de ses aspérités humaines pour en faire des forces à l'écran. Sa mise en scène aidée par la photo Eugen Schüfftan (qui a tout de même contribué aux effets visuels du Metropolis de Fritz Lang) travaille de concert à la gestion de l'espace et à sa minutie du détail. Injustement critiqué à sa sortie par une presse passant à côté de l'ironie de l'histoire, le public ne sera pas aussi frileux. Il faudra tout de même attendre sa ressortie dans les années 50 pour que Drôle de drame obtienne enfin le succès que l'on lui connait.
Il n'est plus à prouver depuis longtemps la contribution de Carné au septième art. Lorsque l'on pense qu'il voulait faire carrière dans le music hall, le cinéma aurait été en deuil de futur auteur influencé par ce Duo Carnet/Prévert comme un certain Michel Audiard. Alors nous pourrons dire tout ce que nous voulons sur le film, mais à ce statut là nous ne sommes plus dans le domaine de la critique mais de la légende.


