Cold Skin est un projet de plus de dix ans entre le moment où ses producteurs ont acquis les droits du livre, et celui où le film est enfin sorti, notamment après une longue période de post-production. Car il s'agit d'un défi rare, tant l'œuvre culte d'Albert Sanchez Pinol est un roman particulièrement abrupt à transposer à l'écran.
Le texte du Catalan, anthropologue à la ville, révèle toutes ses forces par un travail d'introspection remarquable à travers une écriture à la première personne ciselée. L'ensemble est extrêmement littéraire, les doutes, réflexions, et souvenirs du personnage principal occupant un pan particulièrement important du récit, le rythme de l'écriture accompagnant à la perfection le rythme de la narration. Et même s'il s'agit d'un texte court, sa colossale densité en faisait un défi pour une adaptation en long-métrage de 1 h 45, tant les écueils étaient nombreux, et les risques de passer à côté de l'essence du texte grands.
Et c'est bien là la plus grande force, mais aussi probablement la relative faiblesse, de Cold Skin : il s'agit d'un film littéraire. Un film qui va prendre son temps, poser ses enjeux, ses personnages, ses subtilités. Exprimer énormément de choses par sous-entendus, détails, variations infimes dans les jeux des acteurs (tous aussi brillants les uns que les autres, dans des approches nécessitant une parfaite compréhension de leur rôle qu'ils doivent exprimer en des instants fugaces). La tension apportée aux scènes plus rythmées permettent au spectateur non averti de profiter d'un spectacle direct, plein de stress, proposant quelques scènes d'une rare intensité (l'attaque principale du phare, la plongée sous-marine) qui viennent dynamiter un rythme autrement lent, destiné à refléter l'implacable quotidien répétitif de ces mois qui s'écoulent sans autre espoir que celui de gagner une journée de plus de survie.
Il va en être de même avec le personnage d'Aneris, membre du peuple amphibie qui attaque le phare, « mascotte » à la botte du rude Gruner, et qui, à son corps défendant, va servir de détonateur dans la relation entre les deux survivants. Si son rôle est une des quelques variations avec l'œuvre d'origine, comme pour les autres, c'est mené avec énormément de subtilité, afin de s'adapter au format cinéma. Dans le cas d'Aneris, la variation est peut-être la plus marquée, et si elle s'éloigne du roman, au lieu de le trahir, elle propose une autre approche, tout aussi logique, pertinente et intéressante. Il en est de même pour quasiment tous les choix de variations, qui sont des choix d'adaptation et d'interprétation du texte d'origine, faisant au final de Cold Skin, le film, une des adaptations de roman en film les plus intelligentes et brillantes qu'on ait pu voir depuis un bon moment.
Xavier Gens, qui avait déjà découvert le roman avant d'être appelé à réaliser le film, fait le choix d'une mise en scène elle aussi littéraire, proposant ainsi un film qui prendra toute son ampleur et exprimera ses plus grandes qualités en étant revu, comme un on va relire un roman dense et complexe pour en tirer tous les degrés de lecture. S'il s'aliène par ce fait certains spectateurs pour lesquelles les scènes plus directes de Cold Skin ne suffiront pas, il démontre surtout par là même une finesse de mise en scène, mais aussi une volonté jusqu'au-boutiste de respecter l'esprit de l'œuvre qu'il adapte, et prouve s'il en était encore besoin qu'il est d'une intelligence et d'une culture rares, qui se ressentent dans chaque plan, dans chaque détail discret du film.
Si Cold Skin, à l'instar de la terre sur laquelle il se déroule, est d'un abord difficile, il offrira à ceux et celles qui accepteront l'effort nécessaire pour le savourer à sa juste valeur une récompense à la hauteur du chef-d'œuvre qu'il adapte.







