Au-delà même de ses qualités intrinsèques, 125 rue Montmartre est un petit trésor du cinéma français dans sa capacité à raviver dans la mémoire du cinéphile les charmes d'une époque révolue. Celle d'un Ventura collant des baffes retentissantes, d'un cinéma populaire mariant les genres, de dialogues raisonnants comme des poèmes échappés des rues... Ah c'était le bon temps ma petite.
Même s'il n'est présent nulle part au générique du film, on peut certainement accoler le haut patronage de Jean Gabin à cette entreprise. C'est en effet lui qui a pris l'ex catcheur Lino Ventura sous son aile lors du tournage de Touchez pas au grisbi et lui a indiqué la méthode à suivre pour s'imposer dans autre chose que les rôles de gros bras. Lui qui a indiqué à ce dernier le metteur en scène Gilles Grangier, artisan solide ayant déjà manié le monstre sacré dans Le Désordre et la nuit ou Le Rouge est mis. Lui encore qui a révélé au grand public les talents incomparables du dialoguiste Michel Audiard qui se retrouve, oh surprise, au dernier maillon de l'écriture du scénario. Tout est donc réuni pour aborder pour la première fois ce que va devenir l'image même de Lino dans le cœur des français : un homme de la rue, travailleur, franc du collier, colérique, un peu paternaliste, mais honnête et morale. Rien de rébarbatif cependant car les valeurs que véhiculent l'acteur sont sincères et sont de toute façon abordées avec une justesse constante dans l'écriture, comme dans la manière de dépeindre le microcosme aujourd'hui disparu des vendeurs de journaux à la crié. Le sens du détail, le portrait des classes populaires... c'est l'une des spécialités du cinéma de Grangier justement.
Tourné comme il se doit entre les rues parisiennes et les fameux studios de Boulogne, 125 rue Montmartre ressemble d'ailleurs dans sa première moitié à une réjouissante comédie légère dans laquelle le brave Pascal doit composer avec le boulet suicidaire qu'il a sauvé de la noyage dans la Seine. Avec ce petit quelque chose d'un Guy Bedos boudeur, Robert Hirsch est tout à fait excellent dans les airs pathétiques et larmoyants d'un personnage qui annonce 15 ans avant L'Emmerdeur d'Eduard Molinaro. Là, le phrasé d'Audiard fait des merveilles, rehausse l'énergie comique de l'ensemble et souligne, sans en avoir l'air, la machination diabolique qui est en train de se mettre en place.
Basé sur le roman éponyme d'André Gillois (La Souricière), 125 rue Montmartre est en effet par nature un récit policier en forme de traquenard où le héros pétri de bonnes intentions tombe entre les griffes d'un complot habile mené par une femme bourgeoise et fatale (Andréa Parisy que l'on retrouvera dans Cent Mille dollars au soleil). Du film noir à la française en somme, basique mais rondement mené, où même les instant les plus désespérés sont colorés par des échanges verbaux ironiques et ciselés, où la mise en scène privilégie le désespoir de son acteur plutôt que l'action et où la trame s'installe confortablement dans l'estrade du cirque Medrano... avant que le numéro de clown ne révèle toute sa pertinence. Ce que François Truffaut qualifiait péjorativement à l'époque de « tradition de la qualité », lui qui détestait le « cinéma de papa » de Gilles Grangier est justement tout ce qui fait le charme aujourd'hui de 125 rue Montmartre : pas une révolution, mais un petit film bien foutu, impeccablement écrit et interprété par un casting qui a du coffre, du plus petit au plus grand rôle. Il parrait que depuis on a cassé le moule.



