A l'heure où, dans la foulée du succès considérable de Bohemian Rapsody, les projets dédiés aux stars de la musique se multiplient, il n'est pas inutile de rappeler que faire un Biopic c'est bien, mais que faire du cinéma, c'est mieux. The Doors comme preuve à l'appuie.
C'est d'ailleurs assez évident que le regain d'intérêt des distributeurs pour le film de 1991 consacré au groupe mythique des 60's, est certainement une conséquence du succès de son homologue dédié à Queen. Sauf que, sans faire entrer les qualités de tel ou tel artiste dans la balance, la production signée par Bryan Singer ressemble essentiellement à un exercice appliqué, à un joli produit bien sage. C'est d'ailleurs devenu une norme dans l'exercice du récit biographique où tous les évènements, les faits, les personnages, les détails doivent être suivis à la trace pour se protéger des attaques qui suivront, cependant non sans ajouter quelques notes de drame familial et intime pour rendre l'icône plus humaine. Du sujet à Drama donc. Une approche qu'Oliver Stone rejeta en bloc au début des années 90, se basant certes sur de nombreux témoignages plus ou moins fiables, des ouvrages plus ou moins opportunistes, mais n'hésitant jamais à jouer avec la réalité, pour mieux s'approcher non pas d'un quotidien sans aucun intérêt, mais bien d'une énergie, d'un univers, d'une force créatrice révolutionnaire. Fasciné depuis l'adolescence par le groupe, mais aussi avant tout par un Jim Morrison dont il découvre les premiers poèmes alors qu'il est engagé au Vietnam, Oliver Stone quête une expérience immersive, totalement subjective où il n'illustre finalement que le fantasme The Doors. Et en particulier le sien.
Cela n'empêche pas le film d'être extrêmement juste lorsqu'il approche la figure d'écorché vif du leader, les tiraillements artistiques avec ses partenaires ou la création de morceaux cultes, le récit chaotique et houleux de sa relation amoureuse avec la petite Pam Courson. Mais cela ne fait que nourrir une toile de fond entièrement construite autour de la musique acid rock et jazzy de The Doors et les textes savants et mélancoliques de Jim Morrison. Les prestations musicales, les performances scéniques, ne sont jamais là pour illustrer un instant T, mais pour jalonner le voyage de Morrison, poète maudit et flamboyant que Stone imagine tout autant comme un enfant hanté par la mort (la figure du trauma tournant à l'obsession est une figure récurrente dans ses films) que comme un adolescent eternel faisant revivre la fièvre des orgies de Dionysos. The Doors, le film, s'apparente donc le plus souvent à un gigantesque trip musical et sensitif dans lequel Stone expérimente pour la première fois des déstructurations du montage, des distorsions d'images, des fusions de teintes, un mixage sonore planant et assourdissant, dont on retrouvera des réminiscences plus excessives encore dans les suivant Tueurs nés ou L'Enfer du dimanche, et qui permettent ici de véritablement rendre les sensations de la confrontation du public avec « l'expérience » The Door. Les scènes de live sont d'ailleurs des instants ensorcelés, totalement envoutés par un Val Kilmer habité, voir possédé, que le cinéaste métamorphose en bacchanales antiques, en rites de l'aube de l'humanité, traversés de flammes infernales et de jaillissements chamaniques. Non The Doors n'est pas un film profondément réaliste, respirant la véracité, mais bien un voyage motivé par la passion et la quête d'un contact avec une intensité brulante qui ne dura que huit petites années.
Retrouvant sa beauté du diable grâce à la toute nouvelle restauration 4K, déployant toute sa force musicale grâce à la performante piste Dolby Atmos et éliminant ses deux petites minutes finales de trop dans ce "Final Cut" sans doute un peu survendu, The Doors n'a jamais été aussi ardant.



