C'est indiscutablement l'un des événements vidéo de l'année 2019. Précédée par un crowdfunding couronné de succès et une communication intensive sur les réseaux sociaux, la réédition de Zombie, classique parmi les classiques du film de mort-vivant, est enfin là ! ESC Distribution nous l'a vendu comme définitive et, à deux ou trois détails près (parce qu'on aime bien pinailler), c'est bien le cas. Première conséquence de ce coffret combinant exhaustivité des montages connus et débauche de suppléments, l'envie, une fois de plus, de comparer les visions de George Romero et Dario Argento, associés, amis mais aussi, en un sens, rivaux.
Petit retour en arrière, à la fin des années 60. Plutôt que de donner immédiatement une suite à La Nuit des mort-vivants et de répondre aux sirènes d'Hollywood, George Andrew Romero préfère tracer sa route, en toute indépendance. Une orientation de carrière courageuse, intègre et admirable. Mais coûteuse. Tous les films du géant de Pittsburgh passent sous les radars et le succès est aux abonnés absents. Romero n'a plus le choix. S'il veut continuer à faire du cinéma comme il l'entend, il va falloir faire plaisir au public et revenir aux zombies cannibales. Dawn of the Dead est donc sur les rails. Ne manque plus que l'étincelle créative, l'idée de génie. Romero la trouve en visitant le centre commercial gigantesque de Monroeville, en Pennsylvanie. Mais, outre l'écriture d'un scénario, il reste un obstacle de taille pour concrétiser cette séquelle : l'argent. Les idées du cinéaste coûtent cher et les caisses sont vides. Et il est hors de question pour Romero de troquer sa liberté contre un budget confortable. Entrent alors en scène les frères Argento (Dario et Claudio) et Alfredo Cuomo. Non contents d'investir une coquette somme dans le projet, les italiens invitent l'américain à Rome pour qu'il finalise le scénario. L'influence sur Romero est discrète et bienveillante mais réelle. Et le contrat comporte une clause qui dépossède le cinéaste de son film pour l'exploitation en Europe. Le tournage terminé, chacun part de son côté pour travailler à SON montage. Et Dawn of the Dead de se transformer, par la force des choses, en œuvre bicéphale.
Sous le titre Zombie, la version concoctée par Dario Argento s'attire immédiatement les faveurs du public. Propulsé par le score agressif et rock du groupe Goblin, débarrassé presque totalement de l'humour et des ruptures de ton chères à George Romero mais conservant un fond très politique, Zombie est une œuvre sans temps morts qui ne cesse d'envoyer des uppercuts à son public. Bien que très éloigné des exigences formelles d'Argento, cette « réappropriation » consentie porte bel et bien la griffe du réalisateur de Suspiria.
Dario Argento a donc fait coup double. Il a aidé un collègue, un artiste qu'il aime sincèrement, et il est parvenu à en retirer une bonne portion du bénéfice. Il ne s'est pas contenté d'apposer son nom sur le générique, il a injecté une bonne part de son ADN dans le produit fini, facilitant la naissance d'un des courants les plus productifs du bis italien. Mais ceci est une autre histoire.
Pourtant, de l'autre côté de l'Atlantique, ce n'est pas tout à fait le même film qui s'offre au public américain. Utilisée à minima, la musique des Goblin cède la place à un ensemble de morceaux très disparates, parfois à la limite de la parodie, de la ringardise. Un choix conscient qui éloigne Dawn of the Dead de l'horreur pure et qui appuie la satire. Puisque son film se déroule dans un supermarché, George Romero lui a bricolé une bande son de supermarché. La critique de la société de consommation est ici plus virulente, plus développée. L'engagement politique du cinéaste, très à gauche avec une touche d'anarchisme, ne passe donc plus au second plan d'un survival rouge sang.
Qu'il s'agisse du montage cannois (une belle exclusivité de la présente édition) ou du director's cut US, le rythme n'est également pas le même. Percutant là où il faut, le rythme se fait aussi plus aéré et plus conforme à la temporalité du récit. Alors que la version d'Argento semble se dérouler sur quelques semaines, le montage de Romero est plus proche des six mois suggérés par l'évolution de la grossesse de Fran (Gaylen Ross, formidable et trop rarement citée en comparaison de ses acolytes masculins). Les amateurs de gore y gagnent également en effets outranciers dont la mémorable trépanation d'un mort-vivant par les pales d'un hélicoptère et quelques plans de barbaque humaine de ci, de là.
Là où les versions américaines méritent réellement de sortir de l'ombre du montage italien, c'est qu'elles semblent agir comme le résumé culturel d'une décennie agitée, entre radicalité artistique et transition politique. Tout le cinéma américain des 70's est dans Dawn of the Dead. Réutilisation et mutation des codes du western, ultra-violence, humour noir, ironie, mélange des genres, influence grandissante de la bande dessinée, féminisme, discours social et mise en lumière d'un racisme qui ne veut décidément pas disparaître. Romero récupère tout ce qui lui passe sous la main pour construire un film-univers tellement incontournable qu'il est devenu LA source d'inspiration pour tout un pan de la contre-culture depuis plus de 40 ans. Argento est un pirate remarquable mais il n'est pas de taille face à l'amiral Romero !





