Grand spécialiste du cinéma engagé et des sujets houleux de l'histoire contemporaine, Francesco Rossi (Main basse sur la ville, Les Hommes contre...) signe avec Cadavres Exquis un polar terrible, politique, aux contours métaphysiques.
Adaptation du livre il contesto du romancier sicilien anti-mafia et ouvertement communiste Leonardo Sciascia, Cadavres Exquis est d'une certaine façon un film policier / politique parmi d'autre au cœur des ces années 70 très fructueuse de ce coté là, généreusement inspirées par une actualité nauséeuse, tendue avec une forte poussée des revendications sociales et la montée des extrêmes. Et c'est d'autant plus vrai en Italie, connaissant alors crise sur crise, scandale sur scandale, fait divers sur faits divers dans ces tristement fameuses années de plomb. En l'occurrence, si le pays qui sert de cadre au film de Rosi n'est jamais ouvertement cité, les évènements qui y sont décrits sont des extrapolations directes d'évènement réels qui vont d'ailleurs aboutir à l'impensable : un rapprochement entre le partie communiste et les représentants de la droite chrétiennes (pas franchement des progressistes). Une réalité complexe, nourissant constamment Cadavres Exquis qui rend l'enquête de l'inspecteur Rogas, admirablement joué par un Lino Ventura tout en retenu, particulièrement obscure, telle un dédale inextricable où peu à peu s'effondre toute ses certitudes.
Un fonctionnaire intègre et pétri de justice sur les traces d'un tueur de juges, qui ne se révèle bien entendu n'être que la parti émergé de l'iceberg, tant tout semble constamment dirigé, instrumentalisé, par un pouvoir opaque qui manie aussi bien la contre-information, le contrôle réactionnaire que l'instrumentalisation de la criminalité et des foules anarchiques. Joyeux cocktail que Francesco Rossi n'aborde jamais comme un film dénonciateur ou frontalement engagé, préférant la chronique froide, l'exploration scrupuleuse des faits, tout en maniant une lente et insidieuse mise en place d'une ambiance impitoyablement désespérée, paranoïaque qui peut même dans certaines séquences, épurées, sculptées par les ombres ou une lumière trop crue, glisser vers l'abstraction et le fantastique. Entre coup d'état invisible, chute d'une civilisation (une soirée mondaine qui ressemble étrangement aux orgies romaines), disparition d'une culture sous des tonnes de béton et sacrifice des derniers piliers de la justice, Cadavres exquis ne facilite jamais la position d'un observateur qui patauge clairement autant que le personnage de Ventura, entre les différentes strates du film. Cette sensation d'une menace constante mais diffus, de flous absolu dans une enquête inachevée qui sera tout de façon enterrée sous un monceau de mensonges et d'effets de manches, est ce qui perd souvent une partie des spectateurs... et fascine tous les autres.


