Lorsqu'il boucle Suspiria en 1977, Dario Argento est bien loin d'anticiper le triomphe international du long-métrage, et encore plus loin d'envisager une suite prochaine. Devant l'enthousiasme des fans et les chiffres du Box Office, l'auteur de Quatre mouches de velours gris accepte de développer son propos quelques années plus tard. Coproduction italo-hollywoodien (la Fox rentre dans l'affaire), Inferno n'est pas loin, ô surprise, d'égaler son illustre prédécesseur.
Il fut un temps où tout ce que Dario Argento touchait se changeait en or, ou plutôt en joyau bichrome. Poussant dès son prologue la colorimétrie jusqu'à ce que son panoramique s'emplisse d'aplats bleus, violets, roses, verts ou rouge sang, Argento touche droit dans le mille avec Inferno, en dépit d'un argument de séquelle artificiellement greffé à l'original. La mythologie naissante des Trois Mères (les deux dernières étant présentes dans cet épisode) s'expose ainsi dans un ouvrage que l'héroïne parcourt comme un livre de conte, conte dont elle deviendra ensuite le personnage central. Le postulat est succinct, mais Dario n'a pas besoin de fondations plus solides. Il est d'ailleurs étonnant de constater à quel point le dialogue s'efface dans Inferno, au profit de gestes, de regards, d'émotions exprimées sans bouclier face à une caméra inquisitrice. Une scène de cours magistral sur l'écriture symphonique dans un amphithéâtre bondé en est un bel exemple, la concision du contexte (un étudiant romain ouvre une lettre envoyée de New York par sa sœur) se voyant contrebalancée par un sens du bizarre exceptionnel, Argento se focalisant davantage sur le malaise du jeune homme vis-à-vis des regards fixes d'une somptueuse voisine que sur la lettre en elle-même.
Expérience sensorielle non dénuée de maladresses (le final, comme toujours chez Dario, fait un peu de peine à voir), Inferno avance donc au rythme d'un cauchemar, le cinéaste se plaisant à redéfinir le réel en vidant les rues de New York et de Rome de tous leurs passants, en plaçant une antre de sorcière dans les bas-fonds d'une bibliothèque municipale, en colorant ses décors grâce à des éclairages puissants comme autant de tableaux en mouvement, ou en poussant ses protagonistes à des agissements totalement irrationnels, telle cette jeune femme décidant de plonger toute vêtue dans le sous-sol inondé de son immeuble, à la manière d'Alice dans le terrier du lapin blanc. S'ensuit une séquence absolument dantesque, comptant aisément parmi ce qu'Argento signera de plus abouti, de plus poétique, de plus hypnotique et de plus terrifiant de toute sa carrière. Il est d'autant plus douloureux, après redécouverte du long-métrage dans pareil confort, d'admettre que le maestro bouclera près de vingt ans plus tard sa "saga" avec Mother of Tears, objectivement l'un des plus mauvais films sortis depuis la naissance du Septième Art...



