Il a signé de nombreux et énormes succès du cinéma Hollywoodien, marqué les cinéphiles par d'authentique pépites, et pourtant Richard Fleischer trop discret, trop prolifique, trop attaché à l'école des studios, est souvent relégué au rang d'artisan doué. Avec les sorties conjointes de Terreur aveugle, L'étrangleur de Rillington Place et Les Flics ne dorment pas la nuit, Carlotta s'efforce de lui rendre la place qui est sienne.
Si ça filmographie est souvent délaissé dans les grands dossiers sur l'âge d'or du cinéma américain, c'est sans doute en premier lieu parce que Richard Fleischer est un authentique réalisateur de sa génération, se laissant porter par les modes, les genres, les commandes des studios, n'hésitant pas à disparaitre derrière les sujets ou les stars qu'il aborde. Il aligne pourtant à son palmarès quelques gros succès commerciaux et populaires comme 20.000 lieues sous les mers, Les Vikings, Barrabas, Le Voyage Fantastique, L'Extravagant Docteur Dolittle, Tora ! Tora ! Tora !, Soleil vert et même Conan le destructeur (mais là c'est bien moins emballant). Un entertainer de première en tous cas, mais dont justement le coté insaisissable de sa personnalité continue de jouer souvent contre la reconnaissance de son talent. Il est certes largement présent dans les films suscités (excepté Conan bien entendu, il était très vieux), mais surtout décelable dans des projets bien plus modestes, à l'instar d'un fabuleux L'Etrangleur de Boston et sa réinvention formidable du split-screen, mais aussi du trio regroupé dans le coffret de Carlotta : Terreur aveugle / L'étrangleur de Rillington Place / Les Flics ne dorment pas la nuit.
A priori, comme bien souvent dans sa filmographie, les trois métrages n'ont pas grand-chose en rapport, si ce n'est leur distributeur, la Columbia, et un traitement dît « classique » de la mise en scène. Nous sommes aux débuts des années 70 et une nouvelle génération issue de la télévision et d'une vision plus réaliste, documentariste, a commencé à travailler une caméra vibrante, malmenée et des images prises sur le vif, voir improvisées. Même si la réalisation de ces trois films frôle souvent l'épure, et cultive presque un certain naturalisme, en particulier dans la chronique policière Les Flics ne dorment pas la nuit, le dispositif scénique est toujours construit avec précision, les cadres maniérés et calculés, les mouvements pointilleux et discrets... Ce qui bien entendu n'empêche jamais une fluidité orchestré autour de plans souvent longs (presque des plans-séquences), voir alambiqués, voir impressionnants par leur finesse, mais qui font toujours sens. L'esbroufe ce n'est pas son truc est c'est ce qui rend son talent de metteur en scène plus précieux encore, le style ne faisant que systématiquement accompagner l'œil du film, que ce soit le thriller horrifique Terreur aveugle et son omniprésence du hors-champs, L'Etrangleur de Rillington Place et son huis-clos étouffant par une gestion de l'espace admirable et Les Flics ne dorment pas la nuit et sa capture d'une véracité urbaine éclatée
Trois films importants c'est évident, cultivant une véritable maitrise des outils cinématographiques, pouvait même être vu comme des métrages précurseurs, que ce soit son drame policier qui ressemble à un marchepied pour toutes les célèbres séries tv de la décennie à venir (Les Rues de San-Francisco, Starsky & Hutch...) ou Terreur aveugle et son assassin qui s'échappe à la vue de l'héroïne (aveugle donc) et du spectateur, comme le fera quelques années plus tard le Michael Myers d'Halloween. D'ailleurs ces deux films cultivent une même réflexion figurative et thématique sur le visage (ou absence) du mal absolu. C'est un peu là, le fil conducteur qui relie la grande majorité des créations de Fleischer : dresser le portrait du mal sous toutes ses formes. La force primaire et incompréhensible dans le thriller / survival avec la fragile Mia Farrow, la bête humaine et perverse dans la diabolique reconstitution d'un célèbre fait divers porté par l'effrayant Richard Attenborough et le débutant John Hurt, mais aussi celui qui contamine une cité et l'âme d'un pays avec le pourtant très humaniste Les Flics ne dorment pas la nuit. Ce dernier résume d'ailleurs bien souvent à lui seul, toute la fascination que l'on peut avoir pour le cinéma de Fleischer, rigoureux, toujours proche des grands films noirs tournés en studio, mais revenant constamment, sans devenir un essais idéologique ou un film à thèse, sur une vision moderne et évoluée de la société : le traitement de la question des émigrés mexicains, de l'homosexualité, du monde du travail, des ghettos, est aujourd'hui encore d'une terrible actualité et les opinions de Fleischer sont toujours d'une bienveillance salutaire.





