Souvent résumé à une évocation presque enchantée des douces heures de l'avènement du Front Populaire, cette troisième rencontre entre Jean Duvivier (Voici le temps des assassins) et Jean Gabin, n'est pourtant pas qu'une comédie joyeuse. Pas si sûr finalement que les lendemains puissent chanter.
Si le cinéaste s'est toujours défendu de délivrer une opinion politique dans ses films, ces derniers n'en reste pas moins, forcément, des reflets de leur époque. Surtout que Duvivier aime agrémenter ses structures de séquences naturalistes, capturant directement, presque à la manière d'un documentaire, des instantanés du monde qui l'entoure. Dans La Belle équipe, cela se ressent immédiatement dans la superbe, et luxueuse, reconstitution des quartiers populaires de Paris en studios, tout autant que les plans d'un printemps naissant en bords de Marne ou l'arrivée enjouée des futurs clients de la Guinguette. De vrais documents pour les spectateurs actuel, qui retrouve une fougue, un esprit français disparus, et qui bien entendu se teinte ici des aspirations des masses prolétaires : l'accession à la propriété, le besoin de devenir son propre patron, l'évasion par les loisirs, la remise en cause de l'autorité d'état... Autant que les choix de mise en scène de Duvivier, les dialogues admirables de Charles Spaak (La Grande illusion) transmettent cet air du temps qui va justement mener à l'arrivé au pouvoir du Front Populaire au printemps 1936. Le parallèle ce fait alors inévitablement, dépassant même l'optique des parents du film, faisant de la chanson « Quand on s'promène au bord de l'eau » un symbole de ces années là, et de Jean Gabin une authentique star représentant à lui seul la force et le charisme des gens du peuple.
Pas si étonnant cependant puisqu'en apparence, La Belle équipe est une comédie radieuse, décrivant comment une bande de copains particulièrement sympathique (dont un révolutionnaire espagnol en fuite), qui après avoir gagné à la loterie, se lance dans l'achat et la restauration d'une demeure en ruine pour en faire une guinguette, lieu de rencontre et de musique festif. Ca rigole beaucoup, se chamaille un peu, s'encourage, s'offre des accolades viriles, avec en point d'orgue une tempête qui oblige ces cinq gaillards à passer la nuit entière sur le toit pour sauver les meubles... mais décrit comme une métaphore de leur indéfectible amitié. Des moments lumineux comme celui-ci, voir même quelques séquences ouvertement champêtres ensoleillées, La Belle équipe n'en manque pas. Mais Duvivier étant Duvivier, et son pessimisme n'étant plus à prouver, le tableau sera forcément brouillé. Si dans sa mise en scène, encore une fois quasi-moderne et en tout cas bien souvent impressionnante par la justesse de son découpage, le cinéaste souligne au départ le lien qui les unis, avec entre autre un plan séquence habilement orchestrée, les dissensions sont tout aussi présentes.
Une séparation annoncée qui, une fois encore, et c'est une marque de l'auteur, va naitre par la présence des femmes. L'une est simplement douce et amoureuse et emmènera avec elle son amant Mario, avant d'avoir fait fuir le gentil Jacques (Charles Dorat), l'autre est une authentique garce au charme fou (Viviane Romance) et va mettre dos à dos Jean (Jean Gabin déjà impressionnant) et le brave Charles (Charles Vanel). Entre élans quelque peu misogynes et mise en avant du déterminisme social, La Belle équipe glisse cruellement du film de potes (une spécialité française) au drame déchirant, ironique, voir carrément sadique. Un dispositif uniquement appréciable dans la version initiale du film, avec sa fin, maladroite mais terrible, et non celle qui fût tournée ensuite pour adoucir le propos. En l'état, et inconsciemment, le faux-divertissement ouvrier creuse encore son rapprochement avec le Front Populaire, et en particulier son échec malheureux (malgré d'incontestables avancées sociales) alors que le fascisme rampe en Europe. Comme le dit si bien Jean Gabin, abasourdis, dans le dernier plan : « C'était une belle idée... une belle idée ».





