Difficile d'imaginer la pression pesant sur les épaules de Joss Whedon durant la production de L'Ere d'Ultron. Ayant dévoilé son niveau de fatigue lors d'une tournée promotionnelle étrange, où le cinéaste n'hésitait pas à tirer à boulet rouge sur un système légèrement castrateur, Whedon semblait presque s'expliquer sur les raisons d'un échec unanimement dénoncé.
Pourtant, la suite d'Avengers mérite bien mieux que les balbutiements critiques qu'on lui inflige depuis plusieurs mois. Condamné par essence à être moins pur, moins fluide et moins surprenant que l'original, le film devant en plus de son intrigue mettre en place quatre suites simultanément, L'Ere d'Ultron s'évertue à inverser les choix esthétiques et narratifs de son modèle, quitte à refourguer à Marvel un blockbuster bien différent de ce qui était prévu au départ. Pour ne citer les différences les plus évidentes, le scope succède ainsi au 1.85, la trajectoire du groupe se voit renversée (d'un accord parfait lors du plan-séquence d'ouverture à une lente décomposition), une musique dispersée succède au score très contenu d'Alan Silvestri... En bref, plus ou moins consciemment, Whedon semble embrasser totalement la nature chaotique de son entreprise. Le récit s'en ressent, se payant au bout d'une heure des syncopes rythmiques assez radicales. Si dans beaucoup d'autres projets, le résultat aurait été indigeste, les saccades et le foisonnement constant du film en font au contraire un objet filmique furieusement original, voire souvent fascinant.
Ponctué par une demi-douzaine de morceaux de bravoure démesurés, dont un combat apocalyptique entre Huk et Iron Man, le film de Whedon remplit largement son contrat d'un point de vue spectaculaire. Le cinéaste fait d'ailleurs montre d'une maîtrise chorégraphique et géographique plus mûre qu'auparavant, la démultiplication des actions parallèles étant unifiée par une mise en scène maline et cohérente. Une fois encore, lesdites scènes d'action s'efforcent de commenter le moule hollywoodien actuel, en concluant parfois les échauffourées de façon intimiste (les visions provoquées par Scarlet Witch restent parmi les meilleurs instants du film), ou en prenant le contrepied absolu des destructions massives à la Michael Bay (cf. la bataille finale, où les Avengers sauvent plus d'innocents que dans 50 blockbusters US réunis). Bien sûr, L'Ere d'Ultron souffre de sa surenchère contractuelle, le studio comptant sur Whedon pour livrer un dernier acte encore plus énorme que celui de l'original. Les contraintes imposées à Whedon, notamment lorsque Thor s'en va batifoler dans une caverne sans aucune explication, résultent aussi en quelques sorties de route malheureuses. Il suffit toutefois de quelques brèves séquences en apesanteur, notamment la confrontation finale subtile et émouvante entre Vision et Ultron, pour que l'on pardonne ces quelques défauts...




