Des années, des mois, des jours, des heures d'attente pour enfin contempler le nouvel Indiana Jones... Une impatience qui forcément induit une déception (très) passagère et un léger recul face à quelques images de synthèses et une projection numérique à l'esthétique bien loin de l'argentique de la pellicule. Et pourtant, il est bien là, avec pas mal de rides en plus et des cheveux blancs, mais aussi une patate intacte.
Annoncé depuis des années, sans cesse repoussé à cause de mister George « j'ai créé Star Wars et je vous emmerde » Lucas, le quatrième (et dernier ?) épisode cinématographique d'Indiana Jones est enfin sur tous les écrans du monde. Dix-neuf ans d'attente, de projets annulés, de problèmes de planning au cours desquels le producteur borné n'a jamais perdu de vu les crâne de cristal précolombiens (ils existent, mais pas exactement sous la forme du dans le film). Quitte à mettre à la poubelle le script de John Darrabont jugé incroyablement bon par tous ceux qui on eu la chance de poser les yeux dessus, et à se frotter de plus en plus directement à l'âge croissant du personnage. Car après tant d'années, beaucoup de choses ont changé. Jones a vieilli et est désormais un vieux professeur un peu largué, plus pataud, qui peine parfois à prendre le pas dans les scènes d'action attendues. Il se fend de quelques prouesses tout de même avec une ouverture magnifique qui renvoie aux Aventuriers de l'Arche Perdue. Mais son attitude n'en reste pas moins détachée et ironique, permettant une nouvelle fois à Harrison Ford de prouver sa symbiose avec le personnage.
Pour le remplacer dans les scènes les plus spectaculaires, il faut désormais compter sur un certain Mutt, le propre fils caché de Indy (allez ce n'est même pas un spoiler, tout le monde est au courant), interprété par un surprenant Shia Laboeuf aux faux airs de voyou 50's, qui joue clairement sur l'image de Marlon Brando dans Un Tramway nommé désir. Une trahison crieront certains, mais ce n'est que trop vite oublier que déjà dans Le Temple maudit, l'homme au fouet se faisait souvent voler la vedette par son fils adoptif, l'inoubliable Demi-lune. Le Royaume du Crâne de Cristal s'ancre donc immédiatement dans les thèmes de la série et en particulier dans la lignée de La Dernière Croisade, en explorant une nouvelle fois les enjeux d'une famille hors du commun, séparée par le destin et qui va devoir apprendre à se reconnaître (les retrouvailles avec Marion Ravenwood sont hilarantes) alors même que l'imagerie sirupeuse de « l'American Family » vient de se faire pulvériser par un test atomique dans le désert de l'Arizona.
C'est sans doute là que ce nouvel Indiana Jones marque sa différence avec la trilogie originale, en s'ancrant plus que jamais dans l'Histoire. Se référent par quelques répliques à ce que l'on pourrait appeler l'univers étendu de la franchise (ici la série Young Indiana Jones et quelques romans), Indy 4 en reprend aussi la théorie « Lucassienne » de l'aventurier comme le témoin privilégié du XXème siècle, le confrontant en l'occurrence à des 50's gangrénées par la guerre froide, la peur du nucléaire, les recherches sur la parapsychologie, le Maccarthysme. Un contexte qui contraste violemment avec des années 30 pleines d'espoir et d'illusion, l'équipe traitant ici d'une époque plus sombre et paranoïaque dont nous subissons encore aujourd'hui le contrecoup. Pas étonnant, du coup, que la saga délaisse l'archéologie proprement mythologique au profit d'une science-fiction volontairement désuète, qui remonte aux origines de l'Ufologie. Un choix judicieux et surtout extrêmement courageux, qui est de plus mené jusqu'au bout avec une volonté farouche de surprendre l'auditoire quitte à proposer un scénario plus complexe que prévu. Sans compter un final que certains jugeront grotesque, alors qu'il s'avère d'une portée aussi puissante, et thématiquement très proche, de celle des Aventuriers de l'Arche Perdue sur la question du savoir et de la faiblesse de l'humanité.
Un contenu des plus riches qui risque de faire perdre le fil aux moins attentifs entre trois vannes et des scènes d'actions déjà anthologiques, dont une poursuite dans la jungle amazonienne qui renvoie immédiatement aux meilleures scènes du King Kong de Peter Jackson, agrémentée d'un duel à l'épée qui écrase en un plan-séquence foudroyant les trois Pirates des Caraïbes. Si notre cher Indy a pris un petit coup de vieux, on peut dire que Spielberg, lui, tient encore et toujours la forme. Laissant de côté ses dernières recherches visuelles (Minority Report, La Guerre des mondes, Munich) le cinéaste retrouve avec brio l'immédiateté de ses premiers grands films populaires et conçoit Le Royaume du Crâne de Cristal comme une nouvelle attraction cinématographiques à l'esthétique irrésistiblement pulp, dont certaines images (l'explosion nucléaire du premier acte et un certain plan extrêmement large du final) semblent tout droits tirées de couvertures de romans de gare des fifties. Toujours avec la même distance amusée, Spielberg en appelle donc une nouvelle fois à l'enfant qu'il y a en chacun de nous, présentant une jeunesse américaine folle et bagarreuse façon American Graffiti, des Mayas sortis d'un épisode des Mystérieuses Cités d'Or, des décors mêlant étrangement carton-pâte et images de synthèse, et surtout une nouvelle méchante, Irina Spalko, général russe parfaitement caricatural que l'on croirait sortie d'un album de Tintin. De l'aventure, de la vraie en somme, qui offre une conclusion dantesque aux péripéties cinématographiques d'une icône du cinéma (voire plus) tout en révolutionnant par le fond une saga que tout un chacun croyait connaître par cœur. 19 ans après, Spielberg, Lucas et Harrison Ford se devaient bien de nous surprendre...





