Considéré à raison comme l'un des grands maitres du macabre cinématographique, Lucio Fulci a pourtant œuvré dans bien d'autres genres au cours de sa carrière (comédie, Giallo, drame historique...), mais n'aura signé qu'un seul et unique polar : La Guerre des gangs, alias Contraband aux USA. Une simple commande certes, mais que Fulci va prendre un malin plaisir à déboulonner de l'intérieur.
Il faut dire qu'en 1980 lorsqu'il se voit proposer la mise en boite d'Il Contrabbandiere, il vient tout juste d'achever L'Enfer des zombies mais ne sait pas encore l'impact qu'aura son démarquage du chef d'oeuvre de Romero sur sa carrière et le cinéma d'horreur en général. Besoin d'argent, besoin de travailler, il accepte donc le contrat, mais presque à contrecœur signifiant ouvertement son mépris pour un genre, le poliziottesci, largement en fin de vague et dont il ne supporte pas une certaine standardisation et surtout les débordements fascisants. A la justice solitaire, à l'exécution sommaire du moindre délinquant, le futur réalisateur de L'au-delà répond par un accord financier et douteux avec la mafia napolitaine et pousse ainsi ses personnages vers une célébration d'une certaine truanderie "romantique", encore teintée de morale et de respect, confrontée à une violence aveugle, extérieure, personnifiée par le « Marseillais » incarné par un Marcel Bozzuffi directement échappé de French Connexion. Le refus de la drogue (jugé comme un fléau par les mafieux d'antan), la collaboration avec la population locale voir la police, le cinéaste l'installe sans faux-semblant, offrant même le premier rôle à Luca, contrebandier de cigarettes à l'entreprise quasiment familiale. Un personnage de père de famille et de mari aimant, incarné par Fabio Testi (Mais qu'avez-vous fait à Solange ?, Le Fou de guerre) à la mâchoire carrée, sre et rassurante, mais qui laisse déjà filtrer par un regard tour à tour froid et fiévreux, la pente abrupte que va prendre ce polar.
A l'instar des superbes Beatrice Cenci (un récit historique) et Les Quatre de l'apocalypse (un western), son thriller est totalement perverti, contaminé par la folie barbare du trafiquant de drogue et de ses hommes de mains. La Guerre des gangs a tôt fait de s'évader vers un délire absolu, déluge de violence exacerbée, incontrôlable, où rejaillit forcément la fascination morbide du réalisateur. Les exécutions ne se font pas d'une simple balle dans la tête, mais bien en se faisant exploser la carotide, expulser les tripes hors du bide, bruler le visage lentement au chalumeau ou gicler la cervelle sur un parterre d'amateur de PMU. Des élucubrations outrancièrement gore qui auraient pu frôler le ridicule si les détails n'étaient aussi peu ragoutants et si surtout certaines séquences n'étaient tout simplement pas aussi déstabilisantes voir choquantes. En particulier l'odieuse séquence de viol de l'épouse de Luca dont l'acte proprement dit sera laissée hors champs à la faveur d'un hurlement déchirant, mais dont l'inexorable perversion est soulignée par un découpage terriblement habile et perturbant. Un film profondément malade, que Fulci dirige en faisant fi des limites du budget et du sujet, en y imposant une véritable maestria dans les accélérations et les délitements de l'image, syncopés autour des musiques électro-funk de Fabio Frizzi. Mais dans cette Naples où il ne fait curieusement jamais soleil (superbe photographie étouffante du collaborateur de toujours, Sergio Salvati), où un vieux parrain passant sa vie à zapper devant de vieux western mais finit par s'offrir le happy-end, le sentiment de mort omniprésent porté par un Fabio Testi s'achève sur un non-sens, sur une absurde inutilité, annoncée par un délirant gunfight où les tireurs apparaissent et disparaissent à l'écran comme dans un stand de fête foraine. Insaisissable, tour à tour austère et psychédélique (superbe séquence stroboscopique dans la boite de nuit) La Guerre des gangs expose la viande d'un monde malade, corrompu, délirant, souillé... Un pur film de Lucio Fulci, génie du chaos cinématographique.





