Michael Chrichton, aujourd'hui mondialement connu, sera entré dans le monde du cinéma par la petite porte, en grande partie grâce à l'excellente adaptation de l'un de ses romans par l'illustre Robert Wise avec Le Mystère Andromède. Un premier contact, une manière d'imprimer sa vision techno-moderne de la science-fiction, puis un téléfilm, Pursuit, thriller paranoïaque avec Ben Gazzara et Martin Sheen, mèneront l'auteur vers son premier « vrai » long-métrage : Westworld.
Ce film d'exploitation a petit budget va marquer durablement les esprits, n'hésitant pas à se confronter aux genres qui ont fait les grands succès des décennies précédentes : le péplum, l'aventure médiévale et bien entendu, le western. Des univers présentés ici sous la forme de trois mondes d'un parc ‘attractions futuriste et grandiose, où chacun peut venir vivre « en vrai » ses fantasmes d'enfant et d'adulte, au milieu de robots ultra-perfectionnés. La frontière entre le réel et la mécanique est ce qui passionne Chrichton ici, qui ne cesse de jouer sur la multiplication des écrans (fausses publicités, écrans de contrôle) comme pour troubler la place du spectateur et des deux héros, dont James Brolin (Amityville) papa d'un certain Josh. Le film alterne ainsi dans sa grande part entre les aventures vécues par quelques touristes emballés, et filmées scrupuleusement à la manière du vieil Hollywood, et les coulisses du rêve peuplées de scientifiques en blouse blanches, de langage technique incompréhensible et de machines explorées et réparées sur le billard, mises en scène avec une grammaire plus découpée, plus moderne. Au rayon des fantasmes d'amateurs de western, affronter Yul Brynner (Les 7 Mercenaires) doit forcément faire partie du haut du panier, et l'acteur semble joueur ici de sa propre image, celle d'un pistolero abattu à chaque rencontre, mais littéralement increvable et réinitialisé dès le lendemain.
Bien entendu le rêve doit tourner au cauchemar, et l'adversaire jusqu'ici discipliné devient une véritable machine à tuer, comme tous ses congénères. Impossible ici de ne pas penser à une version première d'un certain Jurassic Park (en gros Brynner est le T-Rex), Crichton brassant les mêmes thématiques autour des scientifiques jouant aux apprentis sorciers, de l'homme et sa confrontation avec dieu et de l'Entertainment comme décadence de la société moderne (amusant, venant d'un collaborateur de Spielberg). Impossible non plus de ne pas voir dans ce cowboy en noir, usant d'une vision à infrarouge inédite alors (premiers effets numériques de l'histoire), et à la démarche rigide un modèle pour le Terminator de James Cameron. C'est qu'en faisant le pont entre deux grandes époques du cinéma américain (à sa manière Crichton fait partie du Nouvel Hollywood), l'auteur a clairement ouvert avec Westworld une porte vers une science-fiction plus clinique, anxiogène à la manière de ses romans ou du mythique La Planète des singes. Cependant, le réalisateur / scénariste souffre ici des même lacunes que dans ses romans : cultivant admirablement le pitch malin, le brassage de thèmes forts et marquants, il a tendance une nouvelle fois à se contenter de signer un divertissement réussi, mais presque naïf ou en tout cas simpliste. A l'instar des futurs Looker ou Runaway, son premier film pose les jalons, dispose les outils pour une forte réflexion sociale (est-ce là une punition réservée aux nantis ?), et s'achève sur une dernière bobine spectaculaire, tendue, mais qui finalement laisse tout le dispositif en suspens. Efficace, marquant dans l'histoire de la SF pour ses quelques trouvailles, mais presque trop creux à l'arrivée.



