Jake & Elwood. Deux prénoms à jamais gravés dans l'inconscient collectif. Tout(e) cinéphile qui se respecte a, au moins une fois dans sa vie, suivi les pérégrinations « soul » et bitumeuses de ce désopilant tandem de blancs-becs amoureux de symphonies noires. The Blues Brothers, classique absolu du film musical siège, à tout jamais, au cœur de nos âmes mélomanes.
Concédons un point : la distribution laisse pantois. Doux-dingues échappés du Saturday Night Live, show télévisé mythique et terreau idéal pour une foultitude d'humoristes américains, John Belushi et Dan Aykroyd confirmèrent ici leurs galons de stars de la comédie foutraque et débraillée. Mieux, ils y donnèrent naissance à leurs personnages de frères « bluesy ». Le premier, sieur Belushi, fut une comète étincelante. Un « p'tit gros » au talent fou, rejeton d'immigrés albanais à la destinée tragique. Terrassé par une overdose de « Speedball » (un mix fatal alliant le crack à l'héroïne), l'acteur brula sa brève existence par tous les bouts. Boule d'énergie à l'humour rivé au corps, ce compagnon de beuverie de Robert De Niro débuta sa carrière sous les meilleurs auspices. Révélé en pilote kamikaze dans le génial (mais méconnu) 1941 de Steven Spielberg, Belushi a vite imposé son aura débridée à la face du globe. The Blues Brothers incarne son grand œuvre posthume. Il y déploie la gamme démultipliée de son jeu : tour à tour misérable, excité, habité, exalté, grivois ou sautillant, Belushi scintille à chaque plan.
Il faut le voir opérer des saltos en pleine église, swinguer au son d'un twist endiablé ou prendre l'accent « country » le temps d'une représentation légendaire dans un bouge de chauffeurs routiers. Chacune de ses apparitions s'avère savoureuse et mémorable, incandescente et frénétique. Pour contrecarrer cette démence proclamée, Elwood, l'autre frérot, est tout bonnement parfait. Laconique, monolithique, quasi-autiste, il parle peu mais danse et chante comme un dieu. Le lascar est interprété par Dan Aykroyd. Formé sur le petit écran, l'acteur canadien (également coscénariste du long-métrage) a depuis laissé sa marque dans la sphère sélective des comédies réussies. On le recroisera dans Un fauteuil pour deux, divagation délirante sur les affres du capitalisme et de l'argent roi, ou dans le tout aussi culte SOS Fantômes, drolatique épopée spectrale (et purement new-yorkaise) qui révéla l'immense Bill Murray... Bref, authentiques David et Goliath nouvelle génération, Jake & Elwood s'additionnent, se complètent. Leur fusion se révèle totale. Et sans eux, The Blues Brothers n'existerait pas. Ou presque...
Jaaaaaaaaaaaaaaaaaames Brown, Ray Charles, Aretha Franklin, John Lee Hooker ou Cab Calloway. Ils sont venus, ils sont tous là. Qui donc ? Les cadors de la « black music » pardi, fiers représentants de la vénérable culture afro-américaine. The Blues Brothers compose un écrin de musicalité, supervisé par le compositeur Elmer Bernstein. James Brown, le parrain de la soul, y incarne un pasteur littéralement possédé et Ray Charles, un tenancier au groove mitrailleur et au doigté organique. L'illustre Aretha Frankin, prêtresse du Rhythm'n'blues, se glisse sous le tablier d'une barmaid jalouse jusqu'au point de rupture et le bluesman Hooker provoque des émeutes chorégraphiques en plein Chicago. Quant à Cab Calloway, il symbolise la voix de la sagesse ; le crooner se veut le chantre de l'élégance chaloupée et du dépassement de soi. Nos deux frangins, en mission pour Dieu, ne peuvent rêver meilleurs alliés. Tout au long de la bobine, les coups d'éclats abondent, hurlent leur contentement énervé, nous mettent littéralement en transe. Pas une minute de répit. Remuons-nous, que diable ! Sauvons nos âmes au son des cuivres étourdissants, de la basse abyssale et du balancement de popotin requis. Prière exaucée lors du spectacle final et sa déflagration de tubes, de déhanchements et de tours de force orchestraux, en veux-tu, en voilà.
Autre caractéristique (et non des moindres) de ce film choral : le « bordel » organisé. Dès les premières séquences, le spectateur sait. Il devine, au plus profond de son être, qu'il visionnera un périple au joyeux pays du « foutoir », du grand n'importe quoi et de la gaudriole festive. Le duo-leader est mué par une fureur presque démoniaque à l'encontre de toute représentation de l'ordre. Chauffards confirmés et fichés, zigzaguant à toute blinde dans les rues et ruelles de la « Windy City » aux commandes de leur Buick gonflée à bloc, Jake & Elwood ressemblent à deux anges exterminateurs, ne faisant qu'une bouchée des radars et des flics chapeautés, bien souvent abrutis. Pis, les forces de l'ordre ne sont pas les seules à en prendre pour leur grade. Ajoutons-y une horde risible d'adorateurs du Reich, quelques « rednecks » belliqueux et ronds comme des coings, ou une amoureuse éconduite (Carrie Fisher, plus connue avec ses couettes de Princesse Leia) déclamant sa rage désespérée à grands tirs de bazooka. Le massacre est de taille : supermarchés vandalisés, cabines téléphoniques qui décollent comme des roquettes, barrages de police pulvérisés, hôtels miteux dynamités, boîtes de vitesses poussées dans leurs derniers retranchements... Le cinéaste John Landis, en Belzébuth rêvé, s'en donne à cœur joie dans la destruction massive. Et ce chaos permanent connaît un avènement idéal, voire libérateur, au cours des quarante dernières minutes du long-métrage. La course-poursuite finale, vrombissante et éléphantesque, n'épargne personne. Ni les commandos armés jusqu'aux dents, ni les « paniers à salades », encore moins les gyrophares, les pare-chocs ou autres attributs-clés du macadam. Nous assistons à une escapade menée tambours battants et rythmée par les rapports courts, les accélérations au ras de l'asphalte et le passage à tabac en règle de quiconque oserait se mettre en travers de la piste étoilée de nos deux frères salvateurs. Vous avez dit culte ? Assurément.







