Après Golden Path et son hommage au cinéma d'art martiaux et une participation remarquée dans les pages de Midnight Tales, Baptiste Pagani publie toujours chez Ankama, Les Lames d'Ashura, qui devrait être l'album de sa consécration.
Un vrai créateur d'univers. C'est ce qui frappe en premier lieu à la lecture de cet imposant album qui propose un voyage dans des lieux jamais vus auparavant. Pas besoin de glisser de la science-fiction ou dans la Fantasy débridée, les frontières de Kalandra ressemblent à une version fantasmée de l'Asie centrale qui serait le centre d'un monde entré de matière fracassante dans la contemporanéité grâce à l'explosion du chemin de fer. Des terres cosmopolites, colorées, vivantes et opulentes qui délaisseraient alors les veilles croyances pour se laisser absorber par ces nouveaux potentiels, l'art et les horizons lointains. Bien entendu tout n'est pas idyllique loin de là, et les hordes de pirates du rail pullulent. Parmi lesquels la bande d'Ashura, matriarche fière et sans pitié. Le récit va alors s'intéresser à ses trois enfants, Ikari la guerrière née, Shota que les convictions vont pousser à la trahison et Osman, seul homme dans une tribu de femme, danseur privilégiant l'émotion et les sens.
Trois personnages que le destin ne va cesser de tirailler, d'opposer, sur fond de dualités éthiques, d'opposition entre protection et liberté, d'épanouissement dans la danse et la sensualité et de radicalité religieuse et doctrinale. Une forte réflexion qui nourrie constamment la BD de Baptiste Pagani non pas pour la transformer en démonstration morale, mais bien pour donner une nouvelle fois plus de corps, de réalité et de force à un grand récit d'aventure joliment situé entre le souffle des classiques d'autrefois (mais où les femmes auraient la place autrefois réservée aux figures masculines) et la frénésie spectaculaire d'un Mad Max Fury Road. Profond et enivrant par son orientalisme passionné, Les Lames d'Ashura se montre tout aussi percutant dans son approche de l'action, séquences parfaitement découpées, terriblement cinématographiques et violentes dans leurs assauts épiques, mais toujours délicates et chorégraphiées dans les détails de leurs combats. Si on peut avoir un peu de mal avec les traits de ses personnages et une énergie qui déborde parfois vers le cafouilleux, le graphisme de Pagani est en symbiose totale avec son récit, ses atmosphères et ses influences, se donnant même parfois des petits airs de journal de voyage, de témoignage croqué sur un carnet embarqué. Ses planches célèbrent les couleurs, les reliefs et les mouvements de son théâtre flamboyant avec toute la richesse et la délicatesse que l'aquarelle peut offrir. Une vraie réussite.

