Duo créateur des trois tomes de John Lord, entre polar noir et récit horrifique, Denis-Pierre Filippi et Patrick Laumond tendent ici vers un univers plus lumineux. Une révolution industrielle totalement verte qui aurait changé l'histoire telle qu'on la connaît. Mais tout a un prix.
Les récits post-apocalyptiques tendent le plus souvent vers la description de mondes décharnés, réduits à des déserts sans vie et balayés par un vent cinglant. Dans Terra Prohibita, la catastrophe (accidentelle ou voulue ?) a certes rendu l'Angleterre inhabitable, mais a profondément transformée le monde grâce à l'apparition d'une végétation luxuriante, étrange et terriblement invasives. Des zones de l'Europe perdues, situation accentuée par un nouvel incident aux alentours du Grand Palais parisienne, des crises sociétales, économiques et politiques que l'on aperçoit entre les lignes, au détour d'une case montrant le destin des expatriés sur la côte bretonne (allusion à la « jungle de Calais ? »), mais aussi de nombreuses avancées technologies et écologiques permettant l'apparition de nouvelles sources d'énergies, de cités volantes et de dômes géants. Le récit se déroule à l'orée du XXème siècle mais dans une version steampunk où la sève aurait remplacée la vapeur.
Une idée toute bête, mais assez inédite, qui permet à Patrick Laumond, l'illustrateur de créer de toutes pièces des merveilles d'architectures, arts-nouveaux futuristes, des costumes à la fois élégants et pratiques (les combinaison de cuirs marron feraient presque penser à Dune) et des jungles où foisonneraient des plantes atypiques, grotesques, gigantesques et souvent mortelles. Des planches plus élégantes que spectaculaires, aux contours très fins, admirablement détaillées et joliment construites, qui crédibilisent aisément la démarche de Denis-Pierre Filippi (Colonisation, Le Voyage extraordinaire...) qui use ce tableau alternatif mais assez cohérent, sans jamais se perdre dans des explications lourdes ou des circonvolutions pesantes. Dans ce premier tome du diptyque en devenir, Terre Prohibita joue essentiellement de ses mystères, livrant plus de questions que de réponses, en s'attardant sur les trajectoires convergentes de deux groupes de personnages. D'un coté un assassin professionnel mystérieux tenant l'inspecteur à ses trousses sous son contrôle, de l'autre une détective engagée par l'épouse d'un scientifique dont la disparition est tenue sous silence par les autorité. Deux « équipes » qui vont finalement se croiser lors de leur expédition prohibée dans la zone interdite (plus à voir avec Le Secret de la Planète des singes qu'avec M6). Dialogues plutôt bien écrits, rebondissements bien amenés, univers bien exploité, ce premier tome de Terra Prohibita est effectivement assez intriguant.

