Édité par Glénat directement sous la forme d'un imposant volume intégral, Coda marque les retrouvailles de Simon Spurrier avec l'Heroic Fantasy. Mais ceux qui ont déjà lu le passionnant et surprenant Le Beffroi (ed. Akileos) savent que le voyage ne ressemblera à aucun autre.
Cocréateur de Six-Gun Gorilla, ré-inventeur du personnage de Legion dans les pages de X-Men Legacy, repreneur malin de licences bien installées (Doctor Who, The Power of Dark Crystal...) Simon Spurrier est auteur encore trop largement sous-estimé. Pourtant sa bibliographie est parsemée de petites merveilles, inventives et audacieuses, auxquels l'inattendu Coda vient s'ajouter avec détermination. Publié aux USA chez un Boom ! Studios en pleine ascension, la maxi-série joue pourtant au départ la carte d'un certain classicisme, s'attachant au périple d'un barde misanthrope, porté par sa licorne sauvage au airs de moins en moins enchantés, dont la quête est de trouver un moyen de délivrer sa femme du clan de Urken (sortes d'orcs) qui l'a capturé. Narrateur de sa propre aventure, témoin de ses propres entourloupes et manipulations, Hum est surtout un fieffé menteur qui biaise la réalité pour se rassurer lui-même. Ici les choses sont toujours plus compliquées qu'elles en ont l'air et l'arrivée de madame, sans entraves, sur son fier destrier (une coquatrix vénère) dans une armure étincelante n'est que la première surprise d'une longue série.
Outre l'installation admirable d'une petite galerie de personnages à l'alignement toujours fluctuant, trouble et en tout cas réaliste, Spurrier se montre surtout particulièrement habile dans sa manière d'installer un cadre initial, reconnaissable (la cité assiégée, les hordes de sauvages, les troupes de brigands...) pour mieux ensuite en secouer les fondements et emporter le lecteur dans une balade rocambolesque faite d'humour, de désespoir, de rage et de fureur. A peine croisé sur des titres comme Sons of Anarchy ou Cannibal, mais révélé enfin ici, Matias Bergara s'empare de ce récit libre et flamboyant, de cet univers totalement baroque, pour donner corps à des planches explosives, constamment en fil tendu et baignées de couleurs vives et tranchées. Ses contours extrêmement énergiques et anguleux, son trait qui réinventent constamment les paysages et le bestiaire de la fantaisie, viennent alors concrétiser un univers qui, comme Le Beffroi, pioche autant dans les contes modernisés d'un Tolkien que dans le décharnement d'un Mad Max. De la fantasy post-apocalyptique où aux travers de la rédemption progressive de Hum, témoin d'un monde d'après qui n'a jamais autant ressemblé au monde d'avant, se dessine intelligemment et sans discourt ostentatoire, une jolie réflexion sur la nécessité de guérir le monde et les hommes, et surtout de s'accrocher éperdument à l'espoir d'un avenir meilleur. Une poésie désarmante dans un déluge de visions grandioses faites de titans déplaçant des citées entières et de batailles fastueuses, dans un bordel réjouissant où les squelettes de dragon rêvent qu'on leur gratte un cul disparu, dans une succession de tableaux majestueux et grotesque à la fois. Exceptionnel.

