Profitant de la sortie en salle (enfin !) du long métrage adapté par Run en personne, Ankama réédité en un seul volume l'intégrale des cinq tomes de la série Metafukaz. 10 ans de travail, presque cinq cents pages, revues et un poil augmentées par son créateur, et une œuvre à la narration plus excitante et pertinente que jamais.
L'image de ce cher Angelino, héros d'apparence fragile de Mutafukaz, c'est un peu celle des éditions Ankama dont le succès de la série va entrainer la naissance du Label 619, la création de l'anthologie Doggybags et entraîner dans son sillage autant d'auteurs atypique que de séries s'extrayant des sentiers battus de la BD française. Un manifeste pas totalement volontaire que Run trimbalait déjà dans ses cartons depuis quelques années, le nourrissant de ses influences télévisuelles et cinéphiles (toute la SF parano des 50's), urbaines (le rap, le graph...) et tout logiquement BD, réussissant justement à marier sans cliché toutes les branches du 9ème art : que ce soit le mainstream ou l'underground, le comic ou le manga. Grand récit d'invasion alien dans une Amérique déjà au bord de l'effondrement, enfermée dans une dictature qui se cache sous une vitrine patriotique, Mutafukaz cultive justement un constant mélange, une volonté de décontenancer le lecteur en bifurquant de réflexions politiques extrêmement sérieuses et de parallèles évident avec la réalité contemporaine, vers des délires assumés dignes de la série Z, plaçant de la comédie dans les passages les plus tragiques, une dimension sociale en plein spectacle épique.
Riche pour le moins, et surtout passionnant dans son écriture, Mutafukaz gagne dans ce volume (donc en lecture continue) une lisibilité accrue, une logique qui devient plus évidente. Sans doute aussi grâce aux légères retouches visuelles du premier tome ou les inserts ajoutées avec parcimonie pour clarifier certains points du scénario, les pages se bouffent à vitesse grand V, boostées par les trouvailles de découpage de Run, construisant parfois ses planches comme des affiches de propagande, des murs tagués ou des évasions oniriques, les laissant se déconstruire sous les coups de sabre d'Angelino ou prendre des poses aussi blindées que les muscles de catcheurs mexicains célébrés comme des héros universels. Que la sympathique bouille des trois gamins centraux (une bille ronde et noire, un crâne SD en flamme, une chauve-souris avec appareil dentaire) n'induise personne en erreur, Mutafukaz n'a rien de la BD pour gamin, faisant graduellement monter la pression jusqu'à un grand final digne d'un blockbuster gore et sauvage, alors que la babylonienne Dark Meat City est a feu et à sang entre une insurrection des gangs des rues, un coup d'état militaire, des rayons lasers vomis de soucoupes volantes et des mantes-religieuses géantes cracheuses de feu ! Et au milieu de tout cela Angelino réussit à renouer avec son destin et grandir, alors que Run, lui, use d'un humour foutraque et vachard pour décrire un monde tragique (les habitués de Doggybags reconnaîtront la patte du bonhomme), constamment tiré vers le bas par les manipulations politiques, les haines raciales, les mass-médias... et les aliens bien entendu.

